Justice des mineurs : « L’enfermement n’est pas une solution »

Interview publiée 23.06.11 sur lemonde.fr


Me Dominique Attias, membre du Conseil national des barreaux.

Avocat :  Vous avez participé à un groupe de travail sur la justice des mineurs pour le ministère en 2010 : qu’avez-vous fait ? Qu’est devenu ce travail ?

Dominique Attias : Nous avons travaillé à partir du 10 septembre 2010, un groupe d’experts a été mis en place par la chancellerie. Nous nous sommes réunis tous les mercredis après-midi, sans discontinuer.

Ce groupe de travail comprenait les avocats, les juges des enfants, un représentant du parquet mineurs, un représentant de la direction territoriale de la protection judiciaire de la jeunesse et également des représentants de la chancellerie, de la protection judiciaire de la jeunesse et de la criminelle et des grâces, sous la présidence du chef de cabinet du garde des sceaux.

Le document de travail choisi par la chancellerie était l’avant-projet de code pénal des mineurs mis au point à la chancellerie en avril 2009.

Nous avons donc examiné et discuté cet avant-projet, article par article, jusqu’en décembre 2010, date à laquelle ces travaux ont été suspendus dans l’attente d’arbitrage politique.

Trois points qui figurent actuellement dans le projet de réforme de la justice des mineurs n’ont jamais été évoqués dans ces débats : le tribunal correctionnel dès l’âge de 16 ans, qui n’existait pas dans l’avant-projet, ni d’ailleurs la comparution immédiate des mineurs, pas plus le bracelet électronique, encore moins la présentation de parents menottés aux audiences.

Le seul sujet de la réforme qui a fait l’objet de discussions est le dossier unique de personnalité. Si tous les professionnels étaient d’accord pour que ce dossier existe, il ne devait en aucun cas avoir pour objet de permettre une comparution immédiate. Nous n’étions pas d’accord sur le fait que des rapports concernant l’enfant en danger soient mis dans le dossier pénal.

XXX :  La délinquance des mineurs n’augmente-t-elle pas ?
Dominique Attias : La délinquance des mineurs a augmenté, comme celle des majeurs, mais moins que celle des majeurs. Les petits délits ont augmenté, mais les délits de grande violence ont diminué.

Concernant les jeunes, dans le cadre de ce qui est appelé la « tolérance zéro », le taux de poursuites est de plus de quatre-vingt-dix pour cent, ce qui n’est pas le cas pour les majeurs. En plus, de nouvelles infractions ont été créées dans le code, par exemple celle de se réunir dans des halls d’immeuble, le délit d’embuscade, le délit de se trouver sur des voies ferrées, etc.

Guest : Que pensez-vous du tribunal correctionnel pour les 16 ans, la comparution immédiate des mineurs,le bracelet électronique, la présentation de parents menottés aux audiences ?
Dominique Attias : Je pense que toutes ces mesures sont totalement contre-productives, au lieu de permettre de réinsérer des jeunes, ces derniers, que l’on considère désormais comme des adultes dans le cadre de ce tribunal, vont se retrouver un peu plus marginalisés, un peu plus stigmatisés. Il faut savoir que ces jeunes, qui sont souvent déstructurés et en grande souffrance, quoi que l’on en pense, se construisent à travers l’œil que l’adulte a sur eux.

S’ils sont considérés et étiquetés comme des délinquants sans espoir de réintégrer la société civile, ils feront leur possible pour se conduire comme des délinquants pour correspondre à l’image que nous leur renvoyons.

L’enfermement n’est pas une solution. Il ne sert qu’à mettre les délinquants entre eux, à se désocialiser un peu plus. Il faut savoir que souvent, lorsqu’ils sont enfermés dans des centres éducatifs fermés – et avec la nouvelle réforme ce serait possible dès la première infraction et dès 13 ans –, ces centres se trouvent souvent très éloignés du domicile des parents.

Ces derniers, souvent pour des raisons financières, sont dans l’impossibilité de se rendre sur place. Comment voulez-vous recréer des liens familiaux dans ces conditions ?

Il est vraiment regrettable que les foyers soient fermés au profit de ces centres éducatifs fermés. Il existait auparavant des centres de placement immédiat. Ces centres permettaient aux juges des enfants de placer immédiatement, dès la commission de l’infraction, le jeune pendant trois mois.

Ces centres étaient souvent assez près du domicile des parents (en banlieue). Des éducateurs, ainsi qu’un psychologue, pouvaient travailler avec le jeune et la famille, faire parvenir au magistrat un rapport au bout de trois mois, qui permettait à ce juge des enfants de prendre les décisions les plus appropriées pour permettre à ce jeune de ne pas récidiver.

XXX : Vous défendez avec d’autres la corporation des juges pour enfants, marginalisée dans les projets de réforme de Sarkozy : mais que pourrait-on améliorer dans leur activité ? Sont-ils parfaits dans leur pratique ?
Dominique Attias : Il n’existe pas de magistrat parfait, ni d’avocat parfait d’ailleurs. Les juges des enfants exercent souvent cette fonction par passion et intérêt pour la jeunesse.

La moyenne, pour un cabinet de juge pour enfants, est de deux cent cinquante dossiers suivis au pénal et deux cent cinquante dossiers en assistance éducative, c’est-à-dire lorsque l’enfant est en danger. Lorsque le jeune commet un délit, à l’heure actuelle, il se retrouve souvent, au sortir de sa garde à vue, directement devant le juge des enfants, qui le met en examen, c’est-à-dire qui lui explique ce qui lui est reproché. Ce juge prend immédiatement des mesures – placement, mesures de réparation, suivi par un éducateur, interdiction de se rendre dans certains endroits, etc.

Ces mesures sont prises pour un certain temps. Ce temps est très actif, puisqu’il est expliqué au jeune que cette période va permettre au juge, qui ensuite va le juger, de réfléchir à la peine qui sera ensuite prise par le tribunal, une peine plus ou moins sévère en fonction de l’évolution de ce jeune.

Le projet soumis aujourd’hui à l’Assemblée nationale fait disparaître cette période extrêmement riche qui est la seule qui fait évoluer le jeune. Car la réforme vise à permettre d’envoyer le jeune directement devant un tribunal – dans un délai de dix jours à deux mois – pour le juger seulement à partir de l’acte commis, sans essayer de comprendre pourquoi il a commis cet acte et lui permettre aussi de comprendre le sens des actes qu’il a commis et les réparer.

Un jeune qui passe immédiatement devant un tribunal ne cherchera pas à s’améliorer, subira la peine qui lui aura été infligée, et ressortira sans aucune modification.

Si la prison ou l’enfermement permettaient à l’être humain de changer, cela se saurait. Or, malheureusement, les prisons se remplissent tous les jours un peu plus.

Dudu : Quel bilan tirez-vous des trente-cinq réformes de l’ordonnance de 1945 depuis 2002 ?
Dominique Attias : Certes, ces réformes créent un empilement de textes mais surtout, depuis 2002, une répression accrue de tous ces jeunes, qui n’amène en définitive aucun bilan positif. Le problème majeur – mais j’enfonce des portes ouvertes en disant cela – ne tient pas dans les réformes successives, mais dans l’absence d’une réflexion d’ensemble que devait permettre le débat sur un code pénal qui nous est promis depuis 2008. Plus encore, il réside dans un manque criant de moyens.

Il y aurait la possibilité, en dépensant beaucoup moins d’argent – le prix de journée dans un établissement pénitentiaire pour mineurs est de 1 500 euros par enfant, dans les centres éducatifs fermés, de 600 à 800 euros par enfant –, de mettre en œuvre des moyens de prévention et de réparation des actes.

Il faut que vous sachiez qu’au Québec, où les mesures de réparation et de médiation ont été étendues, où la prévention est très active, y compris à l’école, la récidive a baissé de cinquante pour cent dans les cinq dernières années.

Quel dommage de ne pas s’inspirer de telles expériences ! C’est vrai qu’il faut du temps, mais prendre des mesures immédiates, enfermer les gens pour qu’ils ressortent ensuite et deviennent des délinquants à vie coûte beaucoup plus cher à la société, et de surcroît, démolit à jamais une jeunesse qui devrait pourtant devenir la force vive de notre pays.

Noémie : Où en sont les autres pays européens en matière de justice des mineurs ?

Dominique Attias : Il est bien évidemment hors de question de ne pas sanctionner un acte commis. Et contrairement à ce qui est véhiculé, je peux vous garantir, en tant qu’avocate, que les juges sont loin d’être laxistes. Mais il faudrait prendre des mesures positives pour permettre à ces jeunes de réparer leurs actes.

Dès le plus jeune âge, leur permettre de prendre conscience que la citoyenneté est quelque chose qui se construit chaque jour. Permettre à la société civile de réinvestir le monde de la jeunesse et ne pas tout judiciariser. Il est indispensable d’associer et d’aider les parents, y compris les plus en difficulté, au lieu de les stigmatiser.

Pour vous donner un exemple, au niveau de l’école, les parents, souvent issus de familles migrantes et confrontés à des difficultés avec l’écriture et la langue françaises, reçoivent des courriers de convocation lorsque leur enfant est par exemple absent ou se comporte mal à l’école. Ces parents ne perçoivent pas l’importance d’un courrier qui est souvent reçu par un membre de la famille, mis de côté et même quelquefois pas ouvert. Alors qu’il serait si simple, comme je le fais lorsque leur enfant est convoqué, de leur passer un coup de fil pour prendre contact avec eux, créer des liens, leur demander de venir à l’école, et travailler dès les premiers symptômes inquiétants avec eux pour éviter que leur enfant ne dérive.

Il faut savoir que j’ai constaté que dès qu’une jeune est renvoyé d’un établissement scolaire, il arrive, puisqu’il se retrouve dans la rue, qu’il soit entraîné et commette des actes de délinquance. Il arrive que, pendant six mois, même avant l’âge de 16 ans, un jeune ne soit pas rescolarisé.

Quoi qu’il essaie de montrer, on se rend compte qu’il ressent ce renvoi comme une vraie mise à l’écart de la société, dont il souffre terriblement. Que faire lorsqu’on se réveille le matin sans aucun avenir, sans aucun espoir et en ayant l’impression de ne rien valoir ? Ce n’est pas pour les excuser, loin de là, mais pour vous expliquer ce que je constate de manière récurrente.

Lorsqu’un jeune a plus de 16 ans, il lui est proposé des formations ; à l’issue de l’année qui s’est bien passée, on lui demande de trouver tout seul un stage, qu’il ne trouve malheureusement pas en l’absence de réseau, puisqu’il n’en dispose pas. A ce moment, on le fait redoubler, ou on lui dit qu’il faut qu’il change de formation. Imaginez la haine qu’ils ont au cœur.

Ce n’est toujours pas pour les excuser, mais pour expliquer ce que j’ai constaté à de très nombreuses reprises.

Tout se passe dès l’école. On ne naît pas délinquant, et les familles sont la plupart du temps honteuses et démunies devant le comportement de leurs enfants, qu’elles ne comprennent pas.

Patrick :  Je vis en Espagne (Barcelone), nous avons une délinquance très forte, des réseaux utilisent les mineurs pour leurs activités délictuelles. Les familles sont souvent à l’origine de cette exploitation.
Dominique Attias : On ne peut pas nier, bien évidemment, qu’il y a des dérives. Mais cessons de généraliser. Stigmatiser ne sert à rien, prévenir sert. Pourquoi – mais là aussi j’enfonce des portes ouvertes – avons-nous supprimé des quartiers les associations, notamment d’éducateurs de rue, qui connaissent si bien tout ce qui se passe dans les cités ? Pourquoi avons-nous supprimé nos « gardiens de la paix », mot symbolique si important, de tous ces lieux, pour laisser des délinquants aguerris accaparer des territoires, se servir des plus jeunes vulnérables et les entraîner dans la délinquance ?

Notre société est responsable – et je m’inclus dedans – de ce qui se passe. Il est trop facile de chercher en permanence des boucs émissaires et ne pas se remettre, nous, adultes, en question.

Michael : Quelle peut être l’alternative à l’enfermement, si le centre éducatif fermé (CEF) n’en n’est pas une ?
Dominique Attias : Il existe des jeunes qu’il faut absolument sortir du quartier dans lequel ils vivent, qui les a happés dans un processus de délinquance. Pour cela, il existe des séjours de rupture qui doivent être préparés avec des éducateurs, et surtout, qui doivent permettre aux services éducatifs de préparer avec des sas une réinsertion. Certains centres éducatifs fermés ont fait leurs preuves.

Mais certains autres centres éducatifs fermés – le contrôleur général des lieux d’enfermement, M. Jean-Marie Delarue, l’a constaté – ne sont que des maisons de correction.

Ce que je conteste et crains, c’est cette généralisation de ces centres éducatifs fermés, comme s’ils allaient devenir la solution miracle et permettre à ces jeunes de ressortir réinsérés. C’est faux. La seule manière de réinsérer un jeune est de lui montrer qu’il existe un avenir pour lui en dehors de la délinquance et de l’enfermement.

Enfermer un jeune et le laisser sortir sans encadrement, sans projet, risque d’être encore plus violent et de le remettre directement dans une délinquance encore plus violente.

C’est donc, certes, la sanction, mais avant tout, l’éducation.

Je ne cesserai de répéter qu’un enfant – car même à 16 ans on est toujours un enfant, même si on mesure 1,80 mètre – est malléable et modifiable et transformable. Contrairement, hélas, quelquefois, à certains adultes qui ont définitivement perdu tout repère et tout contact avec la société.

Pourquoi voulons-nous rendre ces jeunes comme ces derniers dès 16 ans ? C’est à désespérer.

Rémy : Que pensez-vous de l’affaire de Carla de Florensac, une jeune fille mineure tuée par un jeune de 15 ans ? Que mérite ce jeune ? Il a enlevé une vie…
Dominique Attias : Je suis, comme, je le suppose, la plupart d’entre nous, catastrophée par cette affaire. Lorsque je vous parlais tout à l’heure de médiation à l’école, on est exactement dans ce cas-là. Sachez qu’au Québec, par exemple, des élèves sont formés pour être médiateurs entre eux, et pour régler ce genre d’affaires avant qu’elles ne dégénèrent.

Quel drame que cette jeune vie détruite ! Quel drame pour les parents de cette dernière ! Mais quel drame également pour les parents de ce jeune garçon, pour lui et pour sa sœur ! A vie il portera le poids de cet acte et de cette mort, sans avoir bien évidement, je le suppose, une seconde imaginé que le coup de poing qu’il a donné pouvait aboutir à cette situation fatale.

Nous avons souvent devant nous, avocats, des jeunes qui sont renvoyés devant le juge des enfants pour violences entre eux à l’école. Nous, adultes, leur répétons qu’on ne sait jamais, et qu’un mauvais coup ou une mauvaise chute pourraient entraîner des conséquences gravissimes.

Ce jeune a voulu « faire le grand » et défendre sa sœur. Nous, adultes, avons créé une société de violence, les jeunes reproduisent nos comportements. Regardez la télévision tous les jours, prenez du recul, vous serez effarés. Tout est violence.

Internet fait qu’on ne se parle plus face à face, qu’on n’arrive plus à discuter. Souvent, ces jeunes ne savent plus se parler entre eux, mais ne se parlent qu’en actes.

Les filles aussi ont changé, elles ne se laissent plus faire – ce qui est évidemment une très bonne chose –, mais elles aussi se comportent comme des garçons, leur font face, et les garçons oublient même qu’ils ont en face d’eux une fille, et se permettent des actes de violence contre elles alors qu’ils sont plus forts.

Là aussi, tout en parlant de l’égalité des sexes, ne restons pas dans le leurre, expliquons à nos jeunes nos différences et le respect que nous devons avoir les uns pour les autres.

Nous, adultes, est-ce que nous nous respectons ?

Eric : Je pense que c’est une vie détruite pour la famille de cette jeune fille mais aussi pour ce jeune garçon, il est normal qu’il porte la conséquence de son acte, c’est impardonnable ! Que risque-t-il vraiment ? Comment va-t-il être jugé ?
Dominique Attias : Il sera jugé par un tribunal pour enfants qui siégera en matière criminelle. Il encourt vingt ans de prison et, si l’excuse de minorité lui est reconnue, la moitié de cette peine.

Mais au-delà de la condamnation, comment va-t-il pouvoir se reconstruire alors que, si j’ai bien compris, il ne connaissait pas le monde de la délinquance auparavant ? Il faut savoir que s’il prend par exemple dix ans de prison, dans la mesure où il a 14 ans, il sera transféré le jour de ses 18 ans dans une prison pour majeurs, enfermé avec plusieurs délinquants, peut-être endurcis, dans une même cellule.

Que subira-t-il dès le jour de ses 18 ans dans cette cellule ? Quel monde va-t-il découvrir ? Rien ne réparera cette vie détruite. Bien évidemment, il ne va pas pouvoir rester dans la ville où peut-être il est né, où il a grandi, où il avait ses repères. Bien évidemment, il va falloir que les adultes lui permettent de trouver un système pour réparer l’acte commis et ensuite se réparer lui-même.

Hélas, rien ne fera revenir cette jeune fille, rien ne permet de revenir en arrière, mais heureusement, nous ne sommes plus au Moyen Age, où la loi du Talion s’appliquait, une vie perdue, une vie prise. A quoi cela sert-il ? Rien ne peut réparer cette mort, y compris une prison à vie.

source : lemonde.fr
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