«Donnez-nous les moyens de défendre les pauvres»

Article publié le 04/05/2011


Les avocats manifestaient ce mercredi pour demander à la Chancellerie d’augmenter le budget destiné à rémunérer leurs nouvelles missions dans le cadre de la réforme de la garde à vue.

Un peu agacés, et même carrément vexés, ils étaient plusieurs milliers d’avocats à défiler ce mercredi à Paris pour presser la Chancellerie d’augmenter l’enveloppe budgétaire destinée à rémunérer leurs nouvelles missions. Dress code du jour: robe noire, lunette de soleil raccord et pancarte sur bout de bois. Où on lit, entre autres: «Dégradés à vue», «Donnez-nous les moyens de défendre les pauvres», «Garde à vue, non Mercier».


Pour comprendre les raisons de leur colère, retour quelques semaines en arrière: le 15 avril, dans la précipitation, est entrée en vigueur la réforme de la garde à vue permettant notamment à l’avocat d’être présent à toutes les étapes de la garde à vue et plus seulement au début. «Du jour au lendemain, on s’est retrouvé, nous avocats, à devoir appliquer une loi sans que rien n’ait été prévu du côté des pouvoirs publics. Le désordre total, une impréparation complète de la Chancellerie… Alors que l’on répète depuis trois ans, la nécessité d’une réforme pour être conforme à la Convention européenne des droits de l’homme!» commence Thierry Wickers, président du conseil national des barreaux.


«Malgré tout, les avocats ont répondu présent, en masse. A Paris, tous les gardés à vue qui ont demandé un avocat en ont eu un. Maintenant, il faut que la Chancellerie arrête de nous prendre pour des enfants de chœur», balance Jean Castelain, le bâtonnier de Paris avant de rejoindre le cortège.


«La défense d’une personne ne vaut que trois euros?»


Au micro, à deux pas du palais de Justice, un avocat s’égosille: «de l’argent, il y en a pour construire des prisons/ de l’argent, y en a pas pour payer les avocats».


Principal point de discorde: l’indemnisation des avocats commis d’office, appelés à défendre les justiciables les plus démunis. Au titre de l’aide juridictionnelle, la Chancellerie leur propose un forfait de 300 euros pour les premières vingt-quatre heures de garde à vue et 150 heures supplémentaire en cas de prolongation de vingt-quatre heures. «Sauf que là on parle hors taxe… Au final, une fois les charges payées, il ne nous reste presque rien, explique Anne Bautheac, une jeune avocate qui vient de s’installer à son compte à Paris. 150 euros pour vingt-quatre heures, c’est 6 euros de l’heure. Et sur ces 6 euros, je paie au moins 50% de charge. Au final, je me retrouve avec trois euros… Est-ce qu’on estime que la défense d’une personne ne vaut que trois euros ?»


En substance, le ministère de la Justice rétorque que l’avocat ne reste pas aux côtés de son client pendant vingt-quatre heures non stop mais intervient en moyenne trois heures et demi (en plusieurs fois). Argument qui fait sourire la jeune avocate: «Oui, sauf qu’on peut nous appeler à n’importe quelle heure de la journée ou de la nuit. Impossible de caler des rendez-vous pendant les heures de permanence, je dois être joignable et pouvoir partir au commissariat dans l’heure.»


S’ajoute le problème des déplacements. «Quand vous êtes appelé pour une garde à vue à Asnières et que l’heure d’après, on vous demande d’intervenir à Anthony, merci! Le ministère soutient qu’un avocat de permanence peut aider trois gardés à vue en même temps, mais en pratique, ce n’est pas faisable. Deux, c’est le grand maximum», estime Alain Boulard, ancien bâtonnier des Hauts-de-Seine. Sa consœur Catherine Scheffler, l’actuelle bâtonnière, parle du casse-tête pour organiser les systèmes de garde. «L’Etat ne nous aide pas du tout, c’est à la seule charge de l’ordre. C’est très compliqué à gérer. Pour le moment, on tient.» Jusqu’à quand?


Croisée peu plus loin, Camille Levallois, 28 ans, trois ans de métier. Au delà du tarif horaire «ridicule» et des problèmes d’organisation à résoudre, elle peste sec contre une réforme qu’elle juge «incomplète. On n’a toujours pas accès au dossier complet des gardés à vue», comme l’impose pourtant la Cour européenne des droits de l’homme. «La garde à vue est toujours un moment éprouvant où les droits élémentaires ne sont pas toujours respectés. Les locaux sont crasseux, il pue, il fait froid…», raconte Séverine Dupuy-Busson, qui attend des changements de ce côté-là aussi.

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