Cellules individuelles : retour d’une promesse perpétuelle

Par Julie Brafman — 

Le ministre de la Justice a annoncé vouloir créer entre 10 000 et 16 000 cellules. L’objectif est d’atteindre 80 % d’encellulement individuel, pour respecter un principe centenaire.

Le titre est prometteur, l’ambition clairement volontariste : «En finir avec la surpopulation carcérale.» Mardi, le garde des Sceaux, Jean-Jacques Urvoas, a enfin présenté son rapport sur l’encellulement individuel, dont le calendrier de remise avait été bouleversé par l’attentat de Nice. Entre-temps, le 11 septembre, Manuel Valls a distillé des indices en annonçant la création de 10 000 places de prison dans les dix ans à venir pour un budget de 3 milliards d’euros. Le Premier ministre promettait alors un plan «spécifique, concret, précis» et surtout «financé» pour le parc pénitentiaire. En voilà donc les détails. Un rapport dense de 60 pages. Des chiffres en pagaille. Des tableaux, des prospections et des diagrammes. Surtout «une politique ambitieuse destinée à atteindre l’objectif d’encellulement individuel». Pour y parvenir, Urvoas ne veut pas se contenter de développer les peines alternatives à la prison, il souhaite ajouter, aux 58 507 places actuelles, entre 10 309 et 16 143 cellules (dont 800 à 1 500 cellules doubles pour les détenus qui en font la demande). Le garde des Sceaux réclamera 1,1 milliard d’euros dans le projet de loi des finances pour 2017 afin de commencer les travaux de rénovation et de construire 4 000 premières places dans les maisons d’arrêt d’Ile-de-France, Paca et dans la région toulousaine.

Depuis vingt ans, les programmes carcéraux se succèdent, se chevauchent, s’annulent, se reportent avec une impression de flou total. Présenter un projet immobilier semble même devenu une tradition de fin de quinquennat. En 2011, Michel Mercier, garde des Sceaux sous Nicolas Sarkozy, avait ainsi prévu 24 000 nouvelles places à l’horizon 2018 (pour atteindre un parc de 70 000 places). Un scénario gelé à l’arrivée du gouvernement Hollande faute de financements prévus par la précédente majorité. Soucieuse de privilégier les peines alternatives à l’emprisonnement, l’ex-garde des Sceaux Christiane Taubira avait plutôt opté pour un plan censé aboutir à 63 500 places d’ici à 2022 tout en insistant sur un nouvel outil pour désengorger les prisons : la contrainte pénale. En vain puisque la mesure demeure très peu appliquée.

Si l’on résume, le plan de 10 000 places proposé par Valls et détaillé par Urvoas reviendrait à… ce que voulait faire la droite en 2011, c’est-à-dire renouer avec l’objectif d’un total autour de 70 000 places. «Cela ne sert qu’à donner l’impression que le gouvernement agit, s’agace Laurence Blisson, secrétaire générale du Syndicat de la magistrature (classé à gauche). C’est un message destiné à une certaine frange de l’électorat qui est beaucoup plus vendeur que celui de la réinsertion, pourtant le principal chantier.»

Durcissement

L’annonce du garde des Sceaux intervient dans un contexte particulier : les chiffres de la surpopulation carcérale n’ont jamais été aussi alarmants. Un pic inédit de 69 375 détenus (pour une capacité de 58 311 places) et plus de 1 500 matelas posés sur le sol a été atteint en juillet. Impossible de parler des prisons françaises sans y adjoindre les qualificatifs de «surchauffe», «promiscuité», «insalubrité» ou «violence». Certains établissements sont au bord de l’explosion, comme Nîmes avec un taux d’occupation de 200 %, La Roche-sur-Yon à 205 % ou encore Fontenay-le-Comte, qui s’envole à 210 %. De manière générale, ce sont les maisons d’arrêts – accueillant des prévenus et des détenus condamnés à des peines inférieures à deux ans – qui pâtissent le plus de la surpopulation (140 % en moyenne) tandis que les maisons centrales, réservées aux longues peines, en sont préservées.

Comment expliquer cette hausse continue de la population carcérale depuis 1990 ? D’abord, la suppression, en 2007, de la loi d’amnistie qui permettait la libération de quelque 6 000 personnes chaque année. Ensuite, et contrairement à l’idée communément admise, parce que la justice n’est guère laxiste. Bien au contraire, le nombre de prévenus n’a cessé de grimper : en août, ils étaient 19 297 contre 17 304 il y a un an, soit une hausse de 11,5 %.

 Cela s’explique en partie par les procédures initiées dans la foulée des attentats de Paris et dans le cadre de l’état d’urgence mais surtout par un durcissement de toute la machine pénale. Ainsi, le rapport du garde des Sceaux pointe une sévérité accrue des décisions de justice. «Aujourd’hui, la peine d’emprisonnement avec ou sans sursis est de loin la plus prononcée», rappelle-t-il. A l’autre bout de la chaîne, les aménagements de peine se font, quant à eux, plus rares : «En 2013, 97 % des personnes condamnées à une peine inférieure à six mois n’ont pas pu obtenir d’aménagement de peine par manque de disponibilité des personnels d’insertion et de probation.» Le ministre entend ainsi agir sur les fins de peine en créant 2 515 places dans des «quartiers de préparation à la sortie» (QPS) pour un budget de 230 millions.

Dans un tel contexte de surpopulation, l’encellulement individuel devient presque une utopie (le taux actuel est de 19,19 % dans les maisons d’arrêt). Jean-Jacques Urvoas n’est d’ailleurs pas le premier à s’attaquer à la problématique. Serpent de mer de la vie parlementaire, ce principe posé par la loi Bérenger de… 1875 n’est toujours pas appliqué. Pour ne citer que les récents atermoiements : la loi du 15 juin 2000 portée par la garde des Sceaux Elisabeth Guigou en a différé l’entrée en vigueur à 2003. Puis, à la demande du gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, un nouveau report était prévu jusqu’en 2008. Le gouvernement de François Fillon, guère plus impatient, a ajourné une fois encore la mesure. Jusqu’à ce que la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 ne fixe une date butoir au 25 novembre 2014. Cependant, la garde des Sceaux d’alors, Christiane Taubira, a proposé un moratoire jusqu’en 2019… accepté avec soulagement par le Parlement. Jean-Jacques Urvoas sera-t-il celui qui réussira l’impossible ?

«Vieille recette»

«Le gouvernement reste attaché à ce principe et ne souhaite plus reporter sa concrétisation», affirme le ministre de la Justice. Plus question de biaiser à l’aide de «faux-semblants» ou de «dogmes», ni de se retrancher derrière des clivages politiques. «Il ne suffit pas de camper au pied des murailles, il faut donner l’assaut», conclut-il. Si l’objectif de l’encellulement individuel fait consensus à gauche, le choix des armes est loin de faire l’unanimité. «C’est une fuite en avant. Dès qu’on construit des places, on les remplit», expose Laurence Blisson, déplorant que le gouvernement n’utilise pas les 3 milliards d’euros pour promouvoir le recours aux peines alternatives, investir dans des structures et du personnel pour favoriser les aménagements de peine et la réinsertion. Un constat partagé par l’Observatoire international des prisons (OIP) qui dénonce une «vieille recette» inopérante. «Le gouvernement est bloqué dans une approche purement quantitative,insiste Marie Crétenot, juriste à l’OIP. Or si les 17 250 personnes exécutant une peine de moins d’un an d’emprisonnement bénéficiaient d’un aménagement de peine (semi-liberté, placement sous surveillance électronique, placement à l’extérieur ou libération conditionnelle) comme la loi le permet, il n’y aurait plus de surpopulation carcérale.» L’association rappelle qu’en 2012, Jean-Jacques Urvoas, député du Finistère, s’opposait lui-même au projet des 24 000 places de Nicolas Sarkozy en affirmant devant l’Assemblée nationale que «les politiques qui misent sur l’incarcération ne sont pas efficaces». 

Julie Brafman

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