Benoist Apparu défend sa politique mais regrette la démission de Xavier Emmanuelli

Propos recueillis par Vincent Barros, parus sur le site LeMonde.fr le 21 juillet 2011


Depuis plusieurs semaines, le Samu social et la Ville de Paris dénoncent le désengagement de l’Etat en matière d’hébergement d’urgence, alors que le nombre de sans-abri et surtout de familles à la rue ne cesse d’augmenter. Benoist Apparu, secrétaire d’Etat au Logement, mis en cause par les associations pour sa gestion de l’immédiat, défend son projet du « Logement d’abord » au profit des nuitées hôtelières à répétition.

  • Comment avez-vous accueilli la démission de Xavier Emmanuelli de la présidence du Samu social de Paris ?

Je regrette cette démission parce que Xavier Emmanuelli est un acteur majeur, essentiel, structurant des politiques d’hébergement en France. C’est lui qui a inventé le concept du Samu Social, qui survit depuis une vingtaine d’années. Même s’il y a des évolutions lourdes sur la façon dont on veut traiter la question, il reste une des personnalités essentielles du secteur.

  • M. Emmanuelli dénonce « les petits hommes gris qui pensent structure » et qui mésestiment l’urgence de la situation. Comment réagissez-vous à ces propos ?

Je suis convaincu, pour en avoir discuté avec lui hier, qu’on partage exactement la même analyse, mais qu’on est toujours dans du discours public réducteur. Xavier Emmanuelli, quand il m’entend parler du « Logement d’abord », a le sentiment qu’on va transformer 100 % des places d’hébergement en places de logement. Ce qui est totalement ridicule. La question qui se pose, c’est comment adapter nos réponses aux personnes qui vivent dans la rue, de façon individuelle et non plus collective. Il faut arrêter de penser qu’il y a une homogénéité des publics à la rue.

Vous avez 20, 30 ou 40 %, je ne le sais pas, des personnes à la rue qui sont complètement déstructurées, en souffrance psychiatrique très lourde, et pour qui il faut apporter des réponses sociale, sanitaire et médicale. Xavier Emmanuelli a construit le Samu social pour eux. Mais, parallèlement à ça, quand vous avez une femme battue, avec deux gamins, qu’on retire du joug de son mari pour la placer dans un centre d’hébergement, ça n’a aucun sens. Pour elle, la réponse « Logement d’abord » est une évidence.

  • Le problème d’hébergement d’urgence s’enlise depuis le 11 mai, lorsqu’il a été annoncé que l’Etat baisserait de 25 % le budget réservé aux nuitées hôtelières gérées par le Samu social… Pourquoi cette décision ?

Pour mettre en place notre politique du « Logement d’abord ». C’est-à-dire que d’ici la fin de l’année, 4 500 places d’hôtel seront substituées par 4 500 places de logement.

Des familles ont déjà investi 1 500 logements en Île-de-France, grâce au fonctionnement Solibail, lancé il y a dix-huit mois. L’objectif est d’ouvrir 4 500 places d’ici la fin de l’année. Dès maintenant, et sur un rythme mensuel (environ 300 places par mois), nous allons fermer les chambres d’hôtel à mesure que seront construits ces logements allocatifs. Evidemment, on ne retirera pas une personne d’un hôtel si une place ne lui est pas réservée en logement.


  • Cette solution prend du temps. Est-ce une réponse au cri d’alarme lancé par le Samu social, les associations au logement et la mairie de Paris ?

Je ne suis pas sûr, car la difficulté de cette logique du « Logement d’abord », partagée par l’ensemble et à l’unanimité du monde associatif, c’est évidemment la mise en pratique, car cela touche à la pâte humaine.


  • Vous défendez la solution du « Logement d’abord » comme plus humaine que celle de l’hôtel. Mais les publics qui sollicitent le Samu Social sont pour beaucoup d’entre eux désocialisés. Bénéficieront-ils d’un suivi médico-social, sur lequel insiste M. Emmanuelli ?

Actuellement, une expérimentation du « Logement d’abord » est menée sur une centaine de grands malades psychiatriques par le docteur Vincent Girard, psychiatre de rue, à Lille, Lyon, Marseille, bientôt Paris. Là, c’est une expérience voire quasiment une recherche médicale, avec des moyens considérables.

Mais il faut prendre en compte aussi le fait que des personnes à la rue refuseront d’aller dans ces logements. J’ai visité un centre expérimental à Marseille, où ils ont mis presque un an à convaincre des sans-abri de visiter le centre d’hébergement. Je ne parle pas de l’habiter, mais seulement de le visiter ! Evidemment que ces personnes, ce n’est même pas la peine d’y penser, nous ne les conduiront pas dans un logement. Il faudra quatre ou cinq ans pour le faire, si on y arrive…


  • Pour les étrangers sans-abri et en attente de régularisation, l’accès aux logements locatifs est-il plus que compromis ?

Pour eux, ce n’est pas possible. Il y a un principe d’inconditionnalité de l’accueil en hébergement : les personnes sans papiers peuvent accéder à une place d’hébergement, à une chambre d’hôtel, mais pas à un logement.
Entre vous et la mairie de Paris, chacun s’accuse d’être responsable de la situation, ce que dénonce d’ailleurs M. Emmanuelli…

J’assume toutes les responsabilités, toutes les décisions sur le sujet. Ce n’est pas la compétence de la mairie de Paris, c’est la nôtre. Mais la mairie de Paris passe son temps, c’est de bonne guerre, même si je trouve cela un peu mesquin, à dire que l’Etat n’en fait pas assez. Ça fait parti malheureusement du jeu politique, mais c’est dommage. J’assume toutes les décisions que nous prenons car elles nous paraissent sensées.

  • Que comptez-vous faire pour les familles à la rue, de plus en plus nombreuses, qu’on loge aux urgences ?

Si l’on reprend les chiffres du Samu Social, cela représente 3 ou 4 familles par jour. C’est 3 ou 4 de trop. Il est hors de question qu’une seule famille se retrouve à la rue. Un enfant ne dort pas dehors, en France, en 2011. Ce n’est pas acceptable, il n’y a pas de débat, on trouve toutes les solutions possibles et imaginables. Elles vont à l’hôtel, en centre d’hébergement mais pas dehors ni aux urgences. Ce n’est pas le boulot de l’hôpital.

Et quand vous regardez la courbe des nuitées hôtelières, on a à disposition, au mois de juillet, plus de chambres d’hôtel que la moyenne de l’année 2010 et qu’à la même époque l’été dernier.


  • Cette statistique n’endigue pas pour autant la précarité des sans-abri et la colère du Samu social…

Evidemment qu’une personne qui va passer la nuit à la rue n’en a rien à cirer, des discours techno-techniques. Elle s’en fout comme de l’an 40 et elle a bien raison. Mais nous, quand on gère tout ça, on a des cycles en fonction des saisonnalités, et évidemment qu’en sortie d’hiver, on ferme les places rouvertes exceptionnellement.

  • L’accès au logement est aujourd’hui relancé. Le Comité de suivi Dalo – Droit au logement opposable – indique dans son dernier rapport (décembre 2010) que la loi n’est pas respectée, faute de moyens…

Permettez-moi de rappeler, quand même, que dans 90 % des départements, on remplit 100 % du Dalo. Nous avons des problèmes en Île-de-France et en Provence-Alpes-Côte d’Azur, là c’est clair. C’est moins pire que ça l’était, mais ça reste très insatisfaisant. Il faut produire des logements, point. Le problème, c’est qu’on produit deux fois plus de logements en Auvergne qu’en Île-de-France… Tant que la région Île-de-France sera la région où l’on produit le moins de logements en France, on aura un problème.

source : LeMonde.fr
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