Agressé(e) – agresseur, un face à face pour aller mieux

Sentir qu’on n’est pas seul ou seule à se battre pour avancer : la justice restaurative permet à chacun, victime ou auteur de fait répréhensible par la loi, d’exprimer ses sentiments sans animosité ni jugement. La première expérience du genre à Limoges, dont les retours sont positifs, en appelle d’autres.

Consacrée par la loi Taubira du 15 août 2014, la justice restaurative a vécu en Haute-Vienne ses premiers temps de parole sécurisée entre victimes et auteurs de faits répréhensibles par la loi en mai 2017. Deux jeunes femmes qui y ont participé ont accepté de confier leur ressenti.

Elle a eu 23 ans en fin d’année, mais on lui en donnerait 16, tout au plus. Silhouette menue, voix fluette parfois à peine audible, celle qu’on appellera Mélina ne fait pas son âge. Seules les marques de lassitude sur son visage au regard cerné témoignent de nuits trop courtes, témoins silencieux d’un passé trop lourd à supporter sur de frêles épaules. Et pourtant, si elle a plié plusieurs fois, Mélina ne veut pas rompre. Elle ne veut pas se laisser anéantir par le viol qu’elle a subi plus jeune dans le lieu de vie associatif où elle se rendait.

Mais c’est dur. D’autant plus compliqué que sa famille n’a pu, n’a su ni la protéger, ni la soutenir. D’autant plus éprouvant que sa plainte a été classée sans suite. C’est parce qu’elle voulait « trouver une solution pour passer par-dessus tout ça et vivre avec » qu’elle a saisi l’opportunité de participer aux toutes premières réunions de justice restaurative organisées à Limoges, au printemps 2017, un peu poussée par ses proches, des collègues en qui elle a confiance. « Je me suis dit : pourquoi pas essayer ? » souffle-t-elle.

Alors elle y est allée pas complètement convaincue, pas vraiment sûre « d’avoir le pourquoi du comment » de ce qui lui était arrivé. Mais mue par un besoin viscéral de pouvoir tout simplement s’exprimer en toute liberté, sans jugement. Tel est le principe fondateur de la justice restaurative, qui permet à des victimes et des auteurs de faits condamnés ou en passe de l’être de pouvoir échanger le plus sereinement possible. Tout se fait dans la bienveillance, l’écoute de l’autre, de ses ressentis. Un « espace de parole sécurisé », selon l’expression de Valérie Bias-Wirbel, directrice du service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) de la Creuse et de la Haute-Vienne et partie prenante dans la mise en place du dispositif porté par l’association France Victimes 87. Une première en Haute-Vienne appelée à se répéter au vu des retours positifs exprimés par chacun.

Sur un pied d’égalité

« On n’est pas dans un tribunal bis, à rechercher des culpabilités ou à attendre des excuses. Tout le monde est sur un pied d’égalité pour s’exprimer. On n’aura pas forcément de réponse, mais cela donne au moins des clés de compréhension. C’est surtout important de se rendre compte qu’on a en face de soi d’autres êtres humains pour qui c’est aussi difficile car on a tendance à l’oublier », tient à préciser Clarisse Gandji, juriste à France Victimes 87, qui a fait office d’animatrice.

Avec Mélina, deux autres femmes victimes d’agressions sexuelles et trois personnes reconnues, elles, coupables d’en avoir commis ont pu se confier, à raison de cinq rencontres de trois heures chacune, tous les mercredis du mois de mai. Deux personnes de la société civile totalement neutres et n’ayant jamais été confrontées à de tels actes ont pour leur part joué un rôle à la fois de modérateur et de facilitateur de paroles. Car quelle que soit son histoire, rien n’est plus ardu que de l’exposer, une fois de plus.

Mélina l’avoue d’ailleurs, elle a « très peu parlé. C’était pas facile, ça fait tout remonter encore une fois. J’avais surtout besoin d’écouter ». Tout l’inverse de Magalie. La jeune mère de famille ressentait une nécessité irrépressible, vitale même de parler. Parce que « ça faisait vingt ans que je n’étais pas entendue, qu’on ne voulait pas me croire. J’avais besoin de me justifier, de faire comprendre comment j’ai vécu cette histoire jusque-là. Je ne demandais pas de pitié ni de compassion, juste une reconnaissance de ma douleur ».

Celle que ses parents n’ont pas voulu entendre quand, à l’entrée dans l’âge adulte, des souvenirs de faits inappropriés vécus enfant chez sa nourrice ont refait surface. Celle qu’elle n’a jamais osé exprimer en allant déposer plainte, se sentant trop seule pour franchir les portes d’un commissariat de police. Les premiers mots ? « C’est comme un saut à l’élastique, oui, avoue-t-elle en reprenant l’expression utilisée dans la question. J’appréhendais qu’on me juge, et puis je me suis sentie de plus en plus à l’aise. Victimes ou coupables, on s’est compris, il y avait de l’empathie. Ça n’excuse rien mais ça donne des clés de compréhension. »

Et ça allège l’âme à défaut de la panser pour de bon. « En rentrant chez moi, ça m’arrivait de m’écrouler en larmes. Je me sentais vidée. Aujourd’hui, j’arrive à mieux gérer mes émotions, j’ai repris confiance en moi. Je me sens tellement apaisée, plus sereine. Je n’ai plus cette boule, là », insiste-t-elle en portant ses mains à la poitrine. L’étau enfoui dans la poitrine de Mélina s’est desserré lui aussi au fil des rencontres. « Ça m’a fait du bien, oui », lâche-t-elle dans un souffle, consciente que le chemin vers un mieux-être est encore long et tortueux. Mais déterminée à ne pas lâcher la rampe.

« Je ne demandais pas de pitié
ni de compassion,
juste une reconnaissance de ma douleur »

« Le temps judiciaire ne correspond pas toujours au temps de la victime ou de l’auteur de délit. Le temps de la justice restaurative est plus apaisé et permet de passer à autre chose, de fermer une porte pour se projeter », souligne Valérie Bias-Wirbel. Comme une « autorisation pour continuer à vivre » selon Magalie, une façon de reprendre le contrôle sur sa vie après avoir beaucoup subi. Mélina, auxiliaire d’autonomie en maison de retraite, a décidé d’entreprendre des cours par correspondance de secrétariat médical. Pour toujours plus « prendre soin des autres comme on n’a pas su prendre soin de moi ».

Portée par l’amour de son conjoint et de ses enfants, Magalie, elle, a trouvé la force de contacter le procureur de la République de sa région d’origine. Si les faits dont elle a été victime sont prescrits, « peut-être que ça pourra aider d’autres personnes. […] Avec la justice restaurative, j’ai vraiment eu le sentiment de refermer un livre. Et votre article, pour moi, ce sera le point final. »

Un pas de plus dans la reconstruction pour les coupables aussi

« Même si la justice restaurative peut intervenir avant même la condamnation, il n’y a rien à y gagner judiciairement, prévient Clarisse Gandji, juriste à France Victimes 87. Y participer, c’est une démarche très personnelle. »

Qui n’a rien d’évident, d’autant plus lorsque l’on se situe du côté des auteurs plutôt que des victimes. « Ce n’est pas facile de trouver des auteurs qui soient prêts à adhérer. Ils ont souvent d’abord besoin d’une prise en charge collective. Dans ces rencontres face à des victimes, ils ont peur d’être jugés ou rejugés », reconnaît Valérie Bias-Wirbel, directrice du SPIP de la Creuse et de la Haute-Vienne. « Il faut être capable de s’exprimer, de prendre la parole, d’encaisser aussi ce que l’autre a à dire. Mais pour pouvoir entrer dans le dispositif, il faut tout d’abord reconnaître les faits. Je rappelle d’ailleurs que la philosophie de la justice restaurative, c’est considérer qu’on ne parle pas d’une infraction pénale mais d’une infraction contre la dignité humaine », insiste Taoufik Fouli, psychiatre à l’unité Foucault de l’hôpital Esquirol, laquelle prend en charge les auteurs de violences sexuelles.

« La personne doit montrer une évolution favorable, elle doit commencer à prendre en considération la victime, se poser la question de son devenir », détaille le médecin. Valérie Bias-Wirbel abonde dans son sens. Ce travail sur soi-même et sur l’empathie est essentiel en amont. La participation aux séances va l’accentuer.

Un gros travail sur l’empathie

« Rien n’est plus parlant, rien ne vaut la parole d’une victime, prolonge la jeune femme. C’est la poursuite d’un cheminement, comme pour cet homme, dans la Creuse, qui a demandé à participer alors qu’il avait fini de purger sa peine pour violences conjugales. Jusque-là, un auteur était un peu autocentré sur sa personne, là il va décaler son regard sur quelqu’un d’autre et cela va lui permettre de mûrir sa réflexion. »

Notamment sur la question de la prescription : « tous reconnaissent combien ça doit être dur à vivre pour une victime. Ils sont aussi souvent surpris de constater que si eux bénéficient la plupart du temps d’un traitement, les victimes n’en ont pas. Cela remet beaucoup de choses en perspective. » Avec des effets positifs évidents selon le docteur Fouli.

« D’après les retours d’expérience que l’on a faits, cette première session en Haute-Vienne a été bénéfique pour tout le monde. Je n’avais d’ailleurs aucun doute sur son intérêt. Dans un pays démocratique, on peut se poser la question de savoir à quoi sert une peine. Sanctionner, oui. Mais il faut aussi penser à la réinsertion de la personne. La justice restaurative n’a rien de thérapeutique mais elle peut aider à se reconstruire et continuer à avancer. »

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