Déradicalisation: le programme expérimenté en toute discrétion par le gouvernement

DOCUMENT RTL – 14 personnes sont prises en charge dans le cadre de ce dispositif expérimental. Baptisé RIVE, il a été lancé en secret et veut tirer les leçons des nombreux échecs en matière de déradicalisation. 

 

Depuis un an, le ministère de la Justice pilote dans la plus grande discrétion le programme RIVE, pour « recherche intervention contre la violence extrémiste ». Derrière ces quatre lettres se cache le programme secret de déradicalisation mené par la France. La particularité de ce dispositif ? La prise en charge des personnes radicalisées s’opère en milieu ouvert, loin des murs de prison. En exclusivité, RTL est allée à la rencontre de l’équipe qui travaille au quotidien sur ce projet expérimental.

Travailleurs sociaux, psychiatres, référents religieux… Une dizaine de personnes s’affaire dans des bureaux situés en Île-de-France. Pour des raisons évidentes de sécurité, l’adresse précise des locaux est tenue secrète. Tous les membres ont accepté de se lancer dans un projet forcément périlleux, puisque ce dispositif est unique en France et en Europe.

Contrairement à tout ce qui a été testé jusqu’ici, les personnes qui sont suivies ne sont pas volontaires et participent à ce programme contraintes et forcées par un juge. Pour le moment, 14 individus ont intégré ce dispositif. Ces huit hommes et six femmes, tous majeurs, sont poursuivis ou ont été condamnés pour des faits liés au terrorisme.

Suivi 100% personnalisé

La plupart sont d’abord passés par la case prison. C’est notamment le cas de deux d’entre eux qui sont partis en Syrie. Mais les profils sont très différents : certains sont ici parce qu’ils ont tenté de se rendre sur un théâtre de guerre, d’autres pour consultation de sites jihadistes ou pour apologie du terrorisme.

À chaque fois, le magistrat a jugé que ce suivi 100% personnalisé serait sans doute plus efficace qu’un séjour en prison, explique Frédéric Lauféron, qui dirige l’association APCARS, en charge du projet RIVE. « On ne doit pas s’attacher uniquement au contrôle et à la surveillance. Il est évident qu’il y a urgence à mettre à l’écart de la société un certain nombre d’individus. Mais pour d’autres, il y a nécessité à offrir une réponse qui s’attache à prendre en charge globalement la personne dans toute sa complexité, surtout pour faire en sorte qu’elle retrouve un projet de vie qui soit compatible avec nos valeurs, avec nos principes républicains et avec la société toute entière. »

Il faut prendre en charge la personne dans toute sa complexité

Frédéric Lauféron

Ce suivi est toujours accolé à un contrôle judiciaire, un sursis mise à l’épreuve ou un bracelet électronique par exemple. Certains sont aussi assignés à résidence.

Pour autant, les acteurs de RIVE ne prétendent pas avoir trouvé la formule magique, la prudence reste de mise. L’équipe ne parle d’ailleurs pas de déradicalisation, un terme devenu tabou après que d’autres expériences ont tourné au fiasco. L’objectif n’est pas de transformer les gens, mais tenter de les réinsérer dans la société, de les désengager de la violence.

Aucun retour en prison

Cela passe d’abord par une évaluation, puis par des rencontres toutes les semaines, pensées sur mesure. L’équipe aide la personne dans ses démarches administratives, tente d’identifier son histoire personnelle pour déterminer ce qui a pu la pousser à adhérer aux thèses jihadistes.

On tente également de répondre à ses questionnements religieux, on essaie d’identifier dans son histoire personnelle ce qui a pu la pousser à adhérer aux thèses jihadistes développe la directrice du projet RIVE. « Nous n’avons pas accès aux informations des services de renseignement ou à l’ensemble de la procédure judiciaire, on ne connaît donc pas la réalité de ce qu’ils ont pu faire, notamment sur les théâtres de guerre, pour ceux qui sont partis en Syrie. Mais peu importe finalement la qualification juridique de l’infraction, puisque nous, notre angle d’attaque, c’est la radicalisation,donc à partir du moment où la personne est radicalisée extrémiste, nous pouvons la prendre en charge. »

S’il est trop tôt pour statuer sur la réussite de ce projet, un constat encourage : personne n’est retourné en prison. Et si les débuts n’ont pas toujours été faciles, comme le reconnaît la directrice du programme, chaque participant semble avancer rendez-vous après rendez-vous. « Il y a des progrès qui sont visibles : si la personne s’inscrit dans une démarche professionnelle, si elle accepte d’avoir un avocat par exemple, plutôt que de s’en remettre uniquement à la justice divine, les pratiques religieuses, le port du voile qui peut s’alléger, et sur l’idéologie, c’est plutôt quand on voit l’ouverture du questionnement, c’est à travers ces petits marqueurs là, qu’on voit que la personne évolue. »

Une vigilance de tous les instants

Mais l’équipe de professionnels reste toujours vigilante. Des référents consultent régulièrement la famille des personnes suivies. Le but est d’éviter de se faire bernerpar des profils qui pourraient manier comme personne la taqiya, l’art de la dissimulation.

Preuve que RIVE suscite beaucoup d’intérêt, la garde des Sceaux a décidé de rencontrer son équipe jeudi 9 novembre. Le gouvernement réfléchit à dupliquer ce type de programme un peu partout en France. Et il y a urgence au regard des plus de 1.400 personnes qui sont visées par des enquêtes en cours pour des faits liés au terrorisme.

Retrouvez l’article en ligne sur rtl.fr

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