COMMUNIQUE DE PRESSE  – Une amende pour lutter contre la consommation de cannabis, est-ce bien raisonnable ?

COMMUNIQUE DE PRESSE

Une amende pour lutter contre la consommation de cannabis, est-ce bien raisonnable ?

 

Le 24 mai 2017, le ministre de l’Intérieur Gérard Collomb a concrétisé une promesse de campagne du candidat Emmanuel Macron en annonçant l’instauration de contraventions pour réprimer l’usage de produits stupéfiants.

« L’année dernière, 180 000 personnes ont été constatées en infraction d’usage et de stupéfiants. En moyenne c’est six heures de procédure pour le policier ou le gendarme, autant pour le magistrat chargé du dossier. In fine il y a eu 20 000 rappels à la loi ou injonctions thérapeutiques. Est-ce que le système est efficace ? Non », a expliqué M. Castaner, porte-parole du gouvernement, le 26 mai 2017.

Si le but de désengorger les tribunaux est à l’évidence louable, la solution interpelle car elle méconnait radicalement une partie des pratiques pénales existantes, notamment les stages de sensibilisation aux dangers de l’usage de produits stupéfiants.

Il semble, en effet, inquiétant d’imaginer que le message de prévention et d’éducation sur la consommation de produits stupéfiants disparaisse totalement au profit d’une simple amende.

Pour rappel, la loi du 5 mars 2007 et le décret du 26 septembre 2007 ont fixé les modalités de ces stages, complétés ensuite par les circulaires des 9 mai 2008 et 16 février 2012.

Aujourd’hui, cette mesure peut être décidée à tous les stades de la procédure :

  • Par le procureur : dans le cadre d’alternatives aux poursuites (art. 41-1 CPP) et dans le cadre de la composition pénale (art. 41-2 CPP) ;
  • Par le magistrat du siège : dans le cadre de l’ordonnance pénale et à titre de peine complémentaire (art. 235-1 du code de la route).

Inspirés des stages de sécurité routière, ces stages payants ont pour vocation à « accroître l’efficacité du traitement judiciaire de la toxicomanie »[1] en accélérant et en systématisant la réponse pénale en matière de toxicomanie.

Ces stages ont, en effet, été conçus à l’origine comme des alternatives au rappel à la loi, jugé insuffisamment dissuasif pour les usagers non toxico-dépendants.

L’observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT[2]) précise que, dans la pratique, cette sanction pécuniaire à visée pédagogique s’adresse aux usagers occasionnels de stupéfiants, non dépendants, qu’il s’agit de dissuader de récidiver dans leur comportement d’usage en leur faisant prendre conscience des conséquences de leur consommation.

Concrètement, il revient au parquet, souvent via un délégué du procureur, de convoquer la personne interpelée pour lui notifier son obligation de participer au stage. Une association habilitée prend ensuite le relais en organisant la logistique et l’animation du stage, parfois avec l’aide de partenaires spécialisés.

Les textes prévoient, en effet, que ces stages sont organisés par une association conventionnée par le préfet et le procureur de la République.

A Paris puis Créteil, l’APCARS organise depuis 2010 des stages d’une journée qui ont rassemblé à ce jour près de 2 500 personnes.

Par souci d’efficacité, l’APCARS sollicite à chaque stage les interventions de l’ANPAA[3] et de la brigade des stupéfiants de Paris (unité de communication, de formation et de prévention).

Dans les stages de l’APCARS, les stagiaires ont été quasi-exclusivement interpelés pour usage de cannabis dont une large majorité est consommatrice quotidienne.

L’association ne dispose pas de statistiques sur l’usage d’autres substances psychoatives mais l’alcool ressort souvent des témoignages à travers une consommation régulière et parfois en quantité importante (pratique notamment du « binge drinking »).

Lors de ces stages, l’APCARS décline son intervention et celle de ses partenaires en 4 modules qui font, pour chacun d’eux, l’objet de discussions :

  • Connaissances et représentations

Prise de conscience autour de la variété des produits stupéfiants, concept de santé, définition d’une drogue, débat drogue dure/drogue douce, effets recherchés et effets trouvés…

  • Santé et société

Risques liés aux usages, différents types d’usage, critères de la dépendance, risques psychiques et sanitaires, motivations à consommer, impacts sociétaux du trafic de stupéfiants…

  • Mécanisme de l’addiction

Place de la consommation dans la vie du stagiaire, facteurs de vulnérabilité faisant basculer d’un usage contrôlé à un mésusage, compréhension en matière de prévention des addictions…

  • Loi

Fondements, utilité et sens de la loi en France et comparaison avec d’autres pays, classement des drogues, risques pénaux encourus…

Les profils des stagiaires sont relativement stables, d’année en année, à savoir : 55% de salariés, 30% étudiants, 15% sans emploi.

A l’issue de la journée, les personnes sont systématiquement sondées sur leur appréciation du stage et il en ressort deux statistiques[4] intéressantes :

  • 90% des stagiaires indiquent que le stage de l’APCARS leur a permis d’acquérir de nouvelles connaissances;
  • 80% indiquent qu’il leur a permis de réfléchir à leurs habitudes de consommation.

En France, on dénombre environ 45 000 participants à ces stages[5] depuis leur création, ce qui représente un chiffre presque anecdotique au regard des centaines de milliers de personnes interpelées.

Dans l’unique rapport d’évaluation sur ce type de stage, l’OFDT y relève en 2012 que « la moitié des stagiaires déclarent qu’ils auraient consommé différemment s’ils avaient su ce que leur a appris le stage ».

Si la portée dissuasive du stage n’est pas établie, l’OFDT précise que « près d’un quart des stagiaires qui n’avaient jamais discuté des dangers du cannabis avec leur entourage avant leur interpellation déclarent l’avoir fait après ».

Ces stages répondent ainsi à un vrai besoin d’informations. L’APCARS s’étonne, par exemple, du fait que la quasi-totalité de ses 2 500 stagiaires méconnaissaient l’existence de structures spécialisées (CSAPA[6]) en tant que lieux ressources pour l’information et la prise en charge.

Enfin, plus largement, à l’heure où 1,4 millions de français déclarent consommer régulièrement du cannabis (dont 20% présentent un risque élevé d’abus ou de dépendance chez les 18-64 ans), les coûts à venir en matière de santé publique devraient être considérables pour l’Etat.

Ces constats devraient interroger les pouvoirs publics sur la nécessité d’une politique informative et éducative inscrite dans la durée, notamment auprès des plus jeunes.

De ce point de vue, l’annonce du gouvernement de privilégier une réponse purement répressive apparaît très insuffisante au regard de la complexité et des enjeux du sujet.

Tout indique que la France ne fera plus très longtemps l’économie d’un débat national à propos du cannabis.

 

[1] Circulaire de la DACG 2008 – 11 G4/ du 9 mai 2008 relative à la lutte contre la toxicomanie et les dépendances

[2] Evaluation des stages de sensibilisation aux dangers de l’usage de produits stupéfiants – Ivana Obradovic – 2012

[3] Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie

[4] Moyenne statistique des exercices 2015 et 2016 à l’APCARS (Paris et Créteil)

[5] Rapport OFDT 2012, sur période 2008/2012 extrapolée à fin 2016

[6] Centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie

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