Quelle place pour les associations dans le projet de réforme pénale

La Garde des Sceaux vient de présenter devant la presse les grandes lignes de sa future réforme pénale, un projet sur lequel nous allons revenir sous l’angle des nombreuses associations, souvent méconnues, qui oeuvrent aux côtés ou au sein de la justice.

 

Notre association, l’APCARS , est née d’une initiative de la Chancellerie il y a plus de 30 ans. Elle participe aujourd’hui à l’individualisation de la justice pénale (à travers chaque année près de 16 000 enquêtes sociales rapides, 500 enquêtes de personnalité…), à l’insertion de publics sous main de justice (450 sortants de prison hébergés et suivis socialement) et enfin à l’aide aux victimes d’infractions pénales (plus de 3 000 victimes reçues).

Notre intervention en pré et post-sentenciel, tant auprès des mis en cause que des victimes, notre présence dans les TGI mais aussi dans les quartiers nous offrent une position privilégiée d’observateur de la délinquance et des réponses pénales.

 

Chaque année, des milliers de mesures socio-judiciaires et de personnes sous main de justice sont confiées par la justice aux associations habilitées.

Notre association est conventionnée avec la cour d’appel de Paris pour ses activités au sein des TGI et avec l’administration pénitentiaire pour l’activité de placement à l’extérieur.

 

Le savoir-faire associatif est clairement identifié par nos prescripteurs.

Ainsi, contrairement aux contrôles judiciaires (CJ) « pointage » confiés aux commissariats, les mesures qui nous sont adressées ont une finalité socio-éducative où l’accent est mis non seulement sur le contrôle mais aussi sur les obligations de soins, l’obligation d’accéder à une formation etc.

Il l’est tout autant dans le domaine de l’hébergement et de la réinsertion pour lequel nous recevons de nombreuses sollicitations des CPIP du milieu fermé (préparation à la sortie), du milieu ouvert (personnes sous CJ) mais également du service des injonctions thérapeutiques du TGI (publics toxicomanes).

 

Pourtant, Serge Portelli s’interroge à propos de la contrainte pénale communautaire (ou peine de probation) : « J’ai l’impression que le gouvernement a écarté l’hypothèse du recours aux associations. Or le tissu associatif français dans le champ de la peine et de la sanction est très important et certaines associations sont très compétentes. On l’oublie trop souvent. »

La Garde des Sceaux a-t-elle une juste perception de notre rôle au cœur de la mécanique pénale ? Et que peut-elle attendre des associations dans le cadre de sa réforme ?

 

A l’heure des grandes annonces médiatiques, nous allons tenter d’esquisser les pistes d’un nouveau pacte entre la justice d’une part et le secteur associatif d’autre part, destiné à favoriser la réinsertion et lutter plus efficacement contre la récidive.

 

 

Mettre fin aux sorties sèches, oui mais avec quels acteurs et quelle cohérence ?

 

Christiane Taubira a très explicitement pointé du doigt l’impérieuse nécessité de développer massivement les sorties de prison. En effet, près de 80% des libérations sont des sorties « sèches » sans suivi et sans contrainte.

 

En matière de préparation à la sortie, il est utile de rappeler que les CPIP se reposent sur un réseau local de structures de droit commun, plus ou moins étendu selon les territoires (centres de soin, pôle emploi, etc… ) et dont des associations d’hébergement telle que la nôtre font partie.

 

A propos des relations associations/justice, le rapport du jury de consensus sur la prévention de la révidive a porté une proposition fort intéressante : « Le jury estime nécessaire de clarifier les articulations service pénitentiaire d’insertion et de probation et les associations actives dans le domaine socio-judiciaire (…) Elle implique de donner plus de lisibilité aux associations sur leur rôle et leur financement à moyen terme.»

 

C’est, en effet, vital et nous allons démontrer pourquoi il y a urgence à intervenir.

Prenons l’exemple du financement de nos centres d’hébergement et de réinsertion sociale. Ainsi, alors que nous sommes un partenaire de longue date de la justice, notre budget dépend principalement du ministère du logement. Or, nous ne pouvons que déplorer l’absence totale de concertation entre ces deux administrations, une carence contreproductive et hélas destructrice pour le tissu associatif.

Cette situation schizophrénique a atteint son paroxysme en 2011. Alors que nous étions pleinement engagés dans les aménagements de peines portés par la loi pénitentiaire de 2009, nous avons été brutalement privés de 250k€ par le ministère de Benoist Apparu, qui portait alors ses propres priorités.

De fait, nous avons dû nous réorganiser, supprimer des emplois et finalement réduire notre capacité d’accueil d’une centaine de personnes par an !

Pour les mêmes raisons, d’autres associations ont connu des difficultés telles que leur avenir est aujourd’hui compromis.

 

Alors que la presse ne relate que les échanges entre la Justice, l’Intérieur et Matignon, il nous semble indispensable d’associer les autres ministères concernés par la lutte contre la délinquance, à savoir l’emploi, les affaires sociales et la santé ainsi que le logement.

En matière d’hébergement de sortants de prisons SDF, une concertation justice/logement pourrait aboutir à un fléchage « justice » et donc une sanctuarisation de ces budgets du ministère du logement. Cela contribuera, en outre, à une meilleure traçabilité des fonds publics et à une évaluation des politiques publiques.

 

Et demain, quel rôle pour les associations dans la future contrainte pénale communautaire ?

 

La Garde des Sceaux a annoncé le 5 juillet dernier la création de 300 nouvelles places de CPIP en déclarant au SPIP de Seine-et-Marne « l’efficacité de la réforme pénale reposera sur vous ». Le développement des aménagements de peine est indiscutablement lié à la charge de travail des CPIP .

 

Partant d’une situation de 130 dossiers par conseillers d’insertion, nombre de professionnels estiment que 300 nouveaux postes sont très insuffisants et témoignent de la saturation autour d’un cas d’espèce « Le service pénitentiaire d’insertion et de probation de Nantes, débordé, met son dossier en attente, dans une armoire avec 800 autres… »

« La loi pénitentiaire de 2009 prévoyait un renfort de 1000 personnes rappelle le syndicat CFTC-SLJ. Le Conseil de l’Europe, lui, estime à 60 dossiers le seuil d’efficacité des mesures de probation. Au Québec, c’est 30 dossiers par conseiller » .

« À l’heure actuelle, nous avons besoin de 1 500 postes de CPIP, pour que chacun puisse suivre entre 50 et 60 personnes » soutient Delphine Colin, de la CGT pénitentiaire .

 

S’il est, hélas, raisonnable de penser que les syndicats pénitentaires ne seront pas suivis dans leurs demandes de recrutements massifs de CPIP, l’alternative associative trouve tout ton intérêt, à certaines conditions.

Par le passé, les associations ont démontré leur capacité à prendre en charge des alternatives aux poursuites (stages, médiations pénales, réparations pénales…), des mesures présententielles (contrôle judiciaire…), des aménagements de peine (placement à l’extérieur…) et plus récemment le suivi de peines (sursis avec mise à l’épreuve).

Partant de cette expérience, Nous défendons aujourd’hui l’idée, avec notre fédération Citoyens & Justice, que les associations sont en capacité de prendre en charge des CPC.

 

En effet, le conventionnement avec les associations présente bien des avantages.

Il est rapide à mettre en place et peu engageant dans la durée pour l’Etat (modifiable voire révocable), ce qui, en période de crise des finances publiques, est un point non négligeable.

La charge de travail de nos professionnels est identique voire parfois inférieure à celle de nos homologues travailleurs sociaux québécois. Elle garantit des conditions et donc une qualité de travail adaptés au sens de cette mesure (individualisation importante du suivi, réactivité en cas de violation des obligations, travail en partenariat…).

Par ailleurs, plusieurs associations interviennent auprès des auteurs et des victimes et pourraient facilement intégrer à leur pratique de la CPC la dimension « victime », notamment à travers la justice restaurative à laquelle Christiane Taubira est sensible.

 

Enfin, suivons les propositions de Pierre-Victor Tournier qui suggère une phase de test et d’évaluation de la CPC avant de l’étendre plus largement. Si tel devait être le cas, il apparaitrait alors judicieux que les associations y soient associées.

 

Frédéric Lauféron

Directeur général de l’Apcars

 

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