Lundi 3 décembre – Comparutions immédiates des « Gilets Jaunes » – Récit de l’intérieur

Par Sophie Gelly, responsable de la communication, suite à l’interview d’une salariée du service d’enquêtes sociales rapide du TGI de Paris, « Aurélia ». 

Depuis trois semaines maintenant, chaque début de semaine, le service d’enquêtes sociales rapides de Paris connait une suractivité sans précédent. Les équipes ont besoin de renfort, les salariées sont sur le pont, les travailleurs indépendants hyper sollicités, pour mener à bien la lourde tâche de la réalisation de l’ensemble des enquêtes obligatoires. Et ceci non sans difficultés, inhérentes à une activité hors norme certes mais aussi au manque d’expérience de ce TGI « des Batignolles ».

Aurélia, salariée, a travaillé ces trois derniers lundis et raconte en particulier la journée mémorable du 3 décembre.

Après le lundi 26 novembre, où déjà environ 35 enquêtes étaient demandées le matin (habituellement il y en a plutôt 20), l’équipe avait été renforcée. De même, plusieurs chambres correctionnelles avaient été ouvertes et de nombreux magistrats et greffiers étaient en effectifs doublés.

Aurélia est arrivée à 7h30 : la liste, habituellement envoyée par mail, n’était pas arrivée, il a donc été nécessaire de descendre au Greffe, deux étages plus bas, pour l’obtenir.

Une fois celle-ci récupérée, Aurélia a dû répertorier parmi 35 pages et 150 procédures, toutes les comparutions immédiates. Résultat : 55 comparutions immédiates.

Tous les salariés, y compris les cadres en renfort sont arrivés particulièrement tôt, entre 7h30 et 8h30.

Aurélia, alors qu’elle avait par ailleurs réalisé quatre entretiens (alternant pour cela entre le -2, le « pointage » et le -1, où se situent les box d’entretien), a dû consacrer un temps non négligeable à vérifier, plusieurs fois dans la matinée, les changements d’orientations (150 procédures à vérifier une par une), s’imposant de se rendre à l’accueil de P12 (3ème étage) afin de ne pas déranger le greffe systématiquement, lui aussi submergé de travail.

Ainsi, de nombreuses comparutions immédiates sont devenues de simples rappels à la loi (alors que les personnes avaient parfois déjà été vues), et, indice du caractère exceptionnel de cette journée, de nombreux rappels à la loi sont devenus des comparutions immédiates, ce qui n’arrive jamais.

Après vérification des procédures, Aurélia a dû répercuter chaque changement d’orientation sur la liste, située au pointage. Précisons que les collègues, pour la consulter, doivent se rendre au -2, alors que les entretiens ont lieu au -1.

 

Modalités pratiques :

Consigne spécifique de ce jour : l’ensemble des personnes qui passent en comparution immédiate restent au dépôt et ne sont pas montées au parquet (auquel cas il faut réaliser les entretiens au 3ème étage au lieu du -1). L’avantage étant donc d’éviter aux enquêtrices des allers et retours supplémentaires.

Or, il n’y a que 8 box d’entretien au dépôt (et une dizaine au parquet), nombre insuffisant pour accueillir les personnels intervenants :  APCARS, SEAT et délégué du procureur réalisant les rappels à la loi. Ainsi, à partir de 9h30, les box étaient surchargés, les collègues ont parfois attendu 45 min pour voir un prévenu.

Faute de place, des entretiens n’ont pas pu être réalisés alors que les personnes déférées étaient disponibles, et, plus tard, certaines étaient déjà montées en chambre correctionnelle.

 

Pour la rédaction des enquêtes et les appels de vérification, les trois bureaux (au 5ème étage), accueillent chacun deux personnes, et la disposition est peu propice à la suractivité. Finalement, chacun d’entre eux a accueilli quatre collègues, installés sur des coins de table.

Ainsi, avec douze enquêtrices présentes ce matin-là, il a été difficile de travailler sereinement : deux câbles par bureau qui permettent de se connecter à Internet et d’imprimer, deux téléphones, qu’il a fallu se partager. De plus, avec plusieurs ordinateurs portables en attente de maintenance, il a été demandé aux collègues qui le pouvaient de venir avec leur ordinateurs personnels (pas de connexion au réseau ni impression hors clé USB).

Ainsi, en étant arrivée à 7h30 et ayant réalisé quatre enquêtes sociales rapides, Aurélia a terminé sa matinée à 16h. S’en est suivie l’après-midi et ses 15 déférés, et Aurélia a réalisé encore deux enquêtes, et terminé sa journée de travail à 19h. Certaines collègues sont restées plus tardivement encore.

Bilan : le matin, sur les 55 enquêtes demandées, 41 ont été réalisées, par douze collègues. L’après-midi, dix collègues ont réalisé les 15 enquêtes demandées. 

De cette journée, Aurélia dira « une des difficultés principaleétait véritablement les allers retours entre les étages et la perte de temps qui allait avec, dépôt sur deux étages, entretien au -1, fouille au -2 (nous étions nombreux à nous y rendre, car tous avaient des contacts personnels et/ou professionnels), l’accueil au 3ème et nos bureaux au 5ème, avec des délais d’attente d’ascenseur considérables. Finalement, c’est tout le fonctionnement du TGI qui a été perturbé, du dépôt au Parquet en passant par nous, chacun ayant fait un peu comme il pouvait avec ces super déferrements! ».

Aurélia souligne également que, au cœur de cette journée exceptionnelle et éprouvante, se sont dégagées une certaine bonne humeur et une grande solidarité entre les services, « tout le monde marchait dans le même sens ». La chef de service tient à ajouter qu’à aucun moment cette suractivité n’a entrainé d’allègement des informations transmises dans les enquêtes, les personnes rencontrées étant majoritairement insérées et primo-délinquantes, le temps nécessaire a été pris pour contacter les proches et vérifier au plus près les informations recueillies.

Les contacts ont été très bons avec le chef de section, qui s’est montré à l’écoute des demandes du service et a de toute évidence été reconnaissant de tout ce qui a été mis en œuvre pour répondre aux attentes de la juridiction : exemple parlant, TEDEX, le système interne au TGI qui permet d’avoir les informations sur les déférés en direct, a été installé plus tôt que prévu, vendredi 7 décembre, ce qui a facilité le travail dès le week-end suivant et pour les autres journées de « super déferrement » qui ont suivi…

 

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