SEMI-LIBRE
Détenu en semi-liberté, Alain dort quatre nuits par semaine en prison. La journée, il étudie la psychologie et travaille dans un fast-food.
A la fac, personne ne sait qu’Alain est détenu
Un amphi de faculté
A 10h15, il n’est toujours pas là. Des questions me passent par la tête et en regardant Julie du coin de l’œil, je crois deviner les mêmes. Est-ce qu’Alain va venir ? Est-ce que le premier rendez-vous ne l’a pas découragé ? Et est-ce que se voir de l’extérieur, devenir le personnage principal d’un blog, a pu le faire changer d’avis ?
Détenu en semi-liberté, Alain dort quatre nuits par semaine en prison et trois à l’hôtel. La journée, il étudie la psychologie et travaille dans un fast-food. Rue89 le retrouve chaque semaine lors de son entretien avec Julie, assistante sociale.
Quelques minutes d’attente inquiète tombent en un coup de fil : panne de métro, Alain est en chemin. Il passe ses journées à courir de la prison à la fac, du boulot (encore en période d’essai) aux rendez-vous administratifs. Ce vendredi, il arrive avec un sac de sport noir. « J’ai pris mes livres parce que je dois faire des exposés. » C’est son premier week-end à l’hôtel.
La dernière fois, Julie lui en avait déjà parlé un peu.
« La chambre, c’est votre espace. Elle est réservée à votre nom. Vous ne pouvez pas recevoir de visites, sauf quand l’hôtel le prévoit, mais l’hôtelier ne peut pas entrer dedans n’importe quand. Nous non plus. On essaiera de vous faire bouger le moins possible, pour que vous n’ayez pas à vous créer de nouvelles habitudes tout le temps. »
« A l’université, je suis un peu gêné »
Pour cette fois, Alain a le choix entre deux chambres d’hôtel et devra en changer plus tard. La première, dans le Xe arrondissement de Paris est centrale mais bruyante. L’autre, à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), est « plus sympa mais plus loin », explique Julie. Peut-être parce qu’il a perdu l’habitude de décider où dormir, Alain préfère qu’elle se prononce pour lui.
« Saint-Ouen c’est bien, la chambre est clean, dans un petit hôtel agréable derrière le marché aux puces. Il y a un petit café en bas, je vous y vois bien. »
Il a juste le temps de filer récupérer la clé et poser son sac avant de partir travailler. Toute la semaine, il circule d’un monde à l’autre.
« Quand j’arrive à l’université, je suis un peu gêné. C’est très différent de la prison, où je suis une autre personne.
La prison m’a renfermé sur moi-même, endurci, isolé. Au début on vous soutient, mais au bout d’un an les gens font leur vie. On est dedans, ils sont dehors. Je n’ai pas repris contact avec mes anciens amis. »
A la fac, personne ne sait qu’Alain est détenu, à part un professeur de psychologie qui l’a aidé à reprendre ses études.
« C’est vraiment une chance qu’ils me donnent, je veux pas la gâcher. Ils me font confiance, c’est la première fois que ça m’arrive. En sortant de la Santé, j’ai vu une ancienne prof qui intervient en milieu fermé, elle m’a dit de m’accrocher. »
Quand il parle des cours, son corps se raidit. Alain se met une pression de dingue.
« Les partiels sont en décembre. Pour les dissertations, je suis plutôt scolaire. Dans ma tête, c’est carré, un peu rigide. Dommage que j’arrive pas à plus me lâcher. »
« J’essaie de reprendre ma vie à zéro »
Alors que les autres étudiants se donnent rendez-vous le soir pour réviser ensemble ou préparer les exposés, Alain esquive et étudie « exclusivement tout seul ». Pour l’instant, il ne vend pas la mèche sur ce qu’il appelle en toute pudeur « ma situation ». Même auprès de moi, il glisse des allusions à sa condamnation sans en venir aux faits :
« J’essaie de reprendre ma vie à zéro. Ce n’est pas facile parce que je pensais que j’étais loin de tout ça. J’avais réussi à construire une petite vie et c’est comme si le passé me rattrapait. Ça a tout recassé. »
Julie lui fait signer le contrat d’accompagnement qui les lie. Il leur reste beaucoup à faire : débloquer ses papiers de Sécu, restés dans son ancienne prison. Soigner cette carie – « en prison le dentiste a creusé la dent, mais j’ai été transféré avant le plombage ». Changer de lunettes, cette paire est complètement de travers.
« Il y a des jours où je mange, d’autres où je ne mange pas », lâche Alain. Il vient de commencer le boulot, ça ira mieux le mois prochain. « Normalement, je touche 817 euros brut [pour vingt heures par semaine, ndlr]. »
Sur les 200 euros touchés en septembre, il en a prêté la moitié à un codétenu. Julie ne veut pas lui faire la leçon. « Je ne peux pas vous dire quoi faire de votre argent, mais ça peut vous mettre en difficulté. » Confiant, Alain verra plus tard.
« Je préfère donner que culpabiliser, il en avait besoin. Je pense qu’il en fera bon usage. »