Le matin, quand Alain quitte le centre de semi-liberté de La Santé pour aller au travail, il dépose certaines de ses affaires dans un casier, à la fouille, et les retrouve le soir.
MAKING OF
Détenu en semi-liberté, Alain dort quatre nuits par semaine en prison et trois à l’hôtel. La journée, il étudie la psychologie et travaille dans un fast-food. Rue89 le retrouve chaque semaine lors de son entretien avec Julie, assistante sociale à l’Association de politique criminelle appliquée et de réinsertion sociale (Apcars).
La semaine dernière, il est sorti en gardant sur lui sa carte d’identité et son portable, mais a laissé de l’argent liquide et sa carte bancaire. Il n’en avait pas besoin dans la journée.
Mauvaise surprise en revenant : tout a disparu. Il fait immédiatement opposition sur sa carte et tire un trait sur les billets, résigné.
« C’est la vie qui veut ça. Le vol dans les casiers a toujours existé. Déjà que les surveillants nous surveillent, ils ne peuvent pas garder l’œil sur nos affaires. »
« Toute l’histoire de ma vie »
Un porte-monnaie vide.
Son fatalisme met Julie en colère.
« C’est pas parce que vous êtes en semi-liberté que vous pouvez vous faire voler. Vous pouvez faire valoir vos droits comme n’importe quel citoyen : porter plainte, écrire au directeur de la prison, prévenir votre conseillère d’insertion et de probation…
– Bof, des fois on gagne et des fois on perd…
– Il y avait combien ?
– Ben, mon salaire du mois de décembre, 600 euros.
– 600 euros ! ! ! Ça ne vous embête pas d’avoir travaillé pour rien ?
– Je vais pas me taper la tête contre les murs. C’est toute l’histoire de ma vie, une galère de plus.
– Oui, mais il ne faut pas se complaire là-dedans. »
Porter plainte, il n’en a pas très envie. « Entrer dans un commissariat de mon plein gré, je trouve ça aberrant, illogique, complètement fou. » Julie bosse depuis des années avec des détenus. Elle a l’air d’avoir déjà entendu cet argument et sort sa parade : la possibilité de porter plainte en écrivant directement au procureur. Certes, il faudra peut-être aller au commissariat plus tard, mais ça évite de commencer par-là.
Pas convaincu, Alain est surtout ennuyé d’y avoir laissé sa carte d’étudiant. Pour la refaire, la fac lassée « de ceux qui la perdent tout le temps » lui demande 8 euros. Il ne les a pas. Les cours ont repris lundi, il ne peut pas emprunter de livres à la bibliothèque.
Les résultats des partiels sont en ligne
Le virement de son deuxième emploi – 1 056 euros pour un CDD d’un mois à faire des inventaires – devrait arriver dans les jours qui viennent et le soulager. Et puis au restaurant, il travaille maintenant trente heures par semaine. En attendant son salaire, Julie propose de lui prêter 20 euros, grâce à une caisse de secours prévue pour ça.
« Ça me gêne un peu madame. »
D’habitude, il ne l’appelle jamais « madame ». La procédure le convainc : c’est un prêt, pas un don, il signe un papier l’engageant à rembourser.
Julie glisse la feuille dans son dossier, une grande chemise cartonnée subdivisée en pochettes bleues, jaunes et roses. Elle en sort sa demande de logement social, qu’ils complètent et font partir au courrier. Une bonne chose de faite.
« Au fait, vous avez eu vos résultats de partiels ?
– Oui, j’ai eu mes notes mais je ne sais pas à quoi ça correspond. Si vous voulez on peut regarder sur Internet. »
« C’est sur 20 les notes ? »
Depuis le début du suivi, Alain fait allusion à ses difficultés avec les ordinateurs. Il sait lire ses e-mails mais quand il essaie d’y répondre, il n’est jamais certain de les avoir envoyés correctement. En cours, les profs qui se servent de PowerPoint sont ceux qu’il a le plus de mal à suivre.
Pourtant il connaît par cœur ses mots de passe et le chemin à suivre jusqu’à son relevé de notes, sur l’Intranet de la fac. On se penche tous vers l’écran d’ordinateur pour voir. Ça ressemble à un bulletin scolaire, avec une quinzaine de matières.
« C’est sur 20 les notes ? » se fait confirmer Julie avant toute chose. Oui, c’est sur 20. Il y a beaucoup de 13 et de 14 et seulement trois matières en-dessous de la moyenne. Ce sont des partiels, donc pas aussi simple à lire qu’un examen de fin d’année qui dirait « reçu » ou « recalé ». Mais ça semble positif.
« Ben… c’est vachement bien, non ? ?
– Je sais pas vraiment où me placer, je connais pas les coefficients…
– Mais vous ne pouvez pas aller demander à la fac ? Il n’y a pas un bureau pour ça ?
– Peut-être la dame qui s’occupe des “étudiants empêchés”, celle qui me donne des cahiers et des stylos.
– Allez la voir, elle aura une meilleure lecture que nous de ce bulletin de notes. Mais vous pouvez quand même être fier de vous ! Vous n’avez pas bossé pour rien. »
Alain se méfie. S’il s’autorisait à crier victoire, et qu’il n’avait rien compris ? Pourtant vers la fin de l’entretien, il commence à se réjouir, presque malgré lui. A comprendre qu’il a peut-être bien réussi ses partiels. Il remercie à tour de bras.
« Le blog, c’est que du positif »
On parle de ma présence aux rendez-vous, de son éventuel besoin d’en passer certains en tête à tête avec Julie. Du fait que je peux le voir à l’extérieur, pas forcément ici toutes les semaines. Et que le blog peut aussi s’arrêter, s’il le souhaite. Il préfère continuer.
« Pour moi, c’est que du positif. Les commentaires des lecteurs m’ont aidé, j’ai l’impression de les connaître. J’y pensais quand je m’endormais à la bibliothèque en révisant.
Soit les gens m’encouragent et je ne veux pas les décevoir, soit ils me démontent et je veux leur prouver que j’en suis capable. C’était un dur combat, on attaque le deuxième round. »