Toutes ces petites galères… Alain pense qu’il paie son passé de dealer

Au bout de quatre mois, un portrait psychologique d’Alain commence à se dessiner. Enfin, sans doute le portrait d’une partie infime de sa personnalité, celle qu’il livre en entretien.

Making of

Détenu en semi-liberté, Alain dort quatre nuits par semaine en prison et trois à l’hôtel. La journée, il étudie la psychologie et travaille dans un fast-food. Rue89 le retrouve chaque semaine lors de son entretien avec Julie, assistante sociale à l’Apcars. Déterminé à rester dans ce que les honnêtes gens définissent comme « le droit chemin », il ne semble jamais satisfait de lui-même, parle de son passé d’une manière un peu théâtrale, se montre très reconnaissant envers ceux qui l’aident et généreux avec les plus malheureux que lui.Souvent une idée revient dans son discours : il paierait « à retardement », par une accumulation de petites galères, le mal qu’il a commis dans le trafic de stups. Pour toutes les fois où il ne s’est pas fait pincer, la vie le mettrait à l’épreuve.

 « Je ne sais pas ce que je suis, ce que j’aime »

Julie lui sert souvent d’interprète du monde extérieur, mais certaines questions existentielles la poussent à la limite de ses missions. Quand Alain s’interroge : « Je me demande quelle perception je renvoie aux gens. Je n’ai pas de culture à moi, pas d’origines précises, pas d’idées politiques. J’ai pris ce qu’il y avait de bon en chacun. J’ai un peu appris de toutes les classes sociales. En fait, j’ai grandi comme un enfant, mes pensées vont un peu à droite à gauche, j’ai du mal à rentrer dans la phase adulte des responsabilités. Je ne sais pas ce que je suis, ce que j’aime. » Elle lui propose l’idée d’un suivi psy pour « creuser un peu », qu’il puisse « se reposer sur un tiers ». « C’est complémentaire. Moi je suis assistante sociale, je risque de ne pas toujours savoir quoi faire de ce que vous me dites. » Il y quelques semaines, Alain ne voulait pas. Etudiant en psychologie, il avait l’ambition de s’analyser au fur et à mesure. Cette fois-ci, il accepte. « Pour voir un peu ce qu’il y a dans ma tête. »

 L’ordinateur portable offert par une lectrice

Dans sa tête, il n’y a déjà plus de trace d’une éventuelle plainte pour le vol de son argent à La Santé. « J’ai zappé tout ça, ça y est. » Par contre, il reste une envie de revoir deux anciens camarades de détention, toujours enfermés à plein temps. Alain a fait une demande de parloir. Julie le prépare à une déception probable : « Il y a de grandes chances que ce soit refusé tant que vous êtes en semi-liberté. » Il comprend. « Mais je peux leur écrire quand même ? » Oui, il peut. Dans la tête d’Alain, il y a aussi un ordinateur, celui que lui a donné une lectrice de ce blog la semaine dernière. Elle l’a fait tout naturellement, parce qu’elle en avait un sur les bras et qu’il en avait besoin. Puis elle m’a écrit un e-mail : « Après quelques échanges par SMS, j’ai rencontré Alain ce soir. Et comme il craint que vous ne le preniez pour un mythomane, je confirme lui avoir donné un ordinateur portable. » Il est encore bluffé : « Je me souviens d’en avoir parlé avec vous la dernière fois, on disait que ce serait bien, et d’un coup ça s’est réalisé. » Ça ressemble à une récompense pour ses partiels, où il a eu « 12 et quelques de moyenne ». Julie a aussi une sorte de cadeau pour lui. A partir de la semaine prochaine, une association interviendra à l’Apcars pour proposer des sorties aux personnes accompagnées : visites de monuments, concerts, expos, théâtre, etc., seul ou en groupe. Il est volontaire. Pour conclure, Julie demande : « Est-ce que vous m’avez tout dit ? – Non, il fallait que je vous rende les 20 euros. » Il lui tend le billet pour effacer sa dette avant de partir.

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