"Un toit pour éviter la taule", un article sur l'enquête sociale rapide de l'Apcars

1. De l’enquête sociale rapide et de son utilité

 

Avant une audience en comparution immédiate, tout prévenu est soumis à une enquête sociale rapide. « Rapide » n’est pas un vain mot : il s’agit d’un entretien avec un enquêteur social, coincé entre l’arrivée du prévenu au dépôt du tribunal et son jugement le jour même, et visant à déterminer sa situation matérielle, sociale et familiale.

 

Précision faite au passage, ledit enquêteur social n’est pas un salarié de la Chancellerie. A Paris, les enquêtes sociales rapides sont réalisés par l’Apcars, association loi 1901 habilitée pour cela.

 

Les précisions apportées par l’enquête sociale, bien que rapide, sont précieuses. Car à l’audience, la situation du prévenu est souvent prise en compte par les magistrats pour décider de son avenir immédiat. Cela vaut surtout lorsque l’affaire est renvoyée à une date ultérieure et que se décide alors de ce que l’on fait du prévenu d’ici là – libération simple, avec mise sous contrôle judiciaire ou placement en détention. En général, deux cas de figure se présentent :

 

1) Le prévenu possède ce qu’on appelle des « garanties de représentation » – famille, adresse, travail – et les magistrats le laisseront en liberté ou, au pire, prononcent une simple mesure de contrôle judiciaire : d’une part pour ne pas le pénaliser socialement, d’autre part car ils sauront où le trouver s’il lui prenait l’envie de ne pas se présenter à l’audience.

 

2) Le prévenu n’a rien d’autre que la misère et la solitude qu’il traîne dans la rue et, pour ne pas prendre le risque de le voir s’évanouir dans la nature, les magistrats prononceront un placement en détention provisoire dans l’attente de son jugement.

 

Manque de chance, A. se trouve dans la seconde situation, qui est aussi la plus fréquente à la 23echambre du tribunal correctionnel de Paris. Né au Cameroun il y a 23 ans, il n’a ni toit, ni travail, ni famille sur le sol français qu’il foule depuis deux mois.

 

2. D’une possible « erreur judiciaire »

 

Avec son visage poupin et ses grands yeux noirs, A. a été «formellement reconnu» par un homme agressé et délesté de son iPhone 5 alors qu’il sortait d’un bar dans le quartier des Halles. En réalité, ce sont «deux individus», «l’un de type noir, l’autre de type maghrébin» qui ont attaqué la victime, selon ses propres dires, puis détalé sans demander leur reste. Embarquée par la police pour une reconnaissance dans le quartier, la victime a alors repéré A., un jeune Black à blouson noir – «comme l’un des deux agresseurs». Interpellation, gourmettes, GAV, box des prévenus.

 

A. nie les faits et son avocate fait valoir qu’il était absolument seul et qu’au même moment, à un quart d’heure à pied de là, deux individus correspondant au signalement des agresseurs se faisaient contrôler – et relâcher – par la police. Il n’y a matériellement aucun élément qui permette de faire condamner A. et on s’achemine vers la relaxe. Mais les parties civiles demandent un renvoi de l’audience car la victime n’a pas encore pu se rendre chez le médecin pour faire estimer le préjudice corporel subi.

 

Doit donc se décider ce que l’on fait de A. dans l’intervalle. Et c’est là que les magistrats vont solliciter l’appui de l’enquête sociale rapide.

 

3. D’une adresse comme seule alternative à la prison

 

«J’ai beau retourner l’enquête dans tous les sens, je ne vois rien…», commence la présidente. Elle laisse sa phrase en suspens, mais tout le monde a compris la fin : rien qui permette d’empêcher son placement en détention. A. dort «dans des bus» et n’a aucune famille en France.

 

Dans le box, le jeune homme reste immobile mais ses grands yeux noirs commencent à envoyer des signaux de détresse à son avocate. «Est-ce que vous pourriez avoir une adresse ?», lui demande celle-ci. Il hésite, hasarde : «Rue du Faubourg Poissonnière…» Numéro ? Il ne s’en souvient plus. «Chez M. X !» «Mais est-ce un membre de votre famille ?» «Non…»

 

Trop mince, pour la procureure, qui requiert le «placement en détention». Un «hiiiiiiiii» suraigu lui fait écho. Les têtes se tournent vers le box : A. vient d’exploser en sanglots. «J’entends bien qu’il n’a pas de domicile ! s’écrie son avocate, mais je crains l’erreur judiciaire !»

 

4. D’une solution in extremis

 

Dernière carte. «L’enquêteur social propose le placement du prévenu dans un des centres d’hébergement de l’Apcars !», s’exclame-t-elle. A Paris, l’association qui prend en charge les enquêtes sociales rapides possède aussi deux centres d’hébergement pouvant accueillir des prévenus dans l’attente de leur jugement. Afin de leur éviter au maximum la détention provisoire.

 

La présidente relève la tête. Le tribunal se retire pour délibérer.

 

Lorsque les trois magistrats se réinstallent à leur place, A. s’est ressaisi, de nouveau impassible dans le box. La présidente plonge les yeux dans les siens et déclare : «L’audience est renvoyée au 18 février. Dans l’attente, le tribunal prononce votre remise en liberté avec placement sous contrôle judiciaire et obligation de pointage deux fois par semaine.» Et dans son regard, derrière les verres de ses lunettes, on jurerait lire le soulagement.

 

Mathilde Tournier

Liberation.fr

 

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