« Maintenant que vous galérez, la question de la récidive se pose ? »

Camille Polloni sort le quatrième article de son blog, toujours avec Alain au CHRS Le Safran.

 

En quelques jours, Alain s’est refermé. Sa longue tirade libératrice de l’autre jour, proférée d’une voix claire, animée par un certain enthousiasme, paraît loin. La morosité l’a capturé. Il marmonne. Je guette les signes furtifs de fatigue sur son visage, son sourire un peu plus pâle et plus rare. Ses lunettes ont l’air davantage tordues aujourd’hui. Il hésite entre lassitude et agacement.

 

Julie a le même entrain bienveillant que d’habitude. Elle entreprend de lui rappeler les bases de la couverture maladie. Quand Alain travaillait, il connaissait le principe de la Sécu, mais la prison l’a éloigné de tout ça. Détenu, il bénéficie de la couverture maladie universelle (CMU) et, ce qui n’est pas systématique, de la CMU complémentaire. « Vous êtes couvert, vous pouvez aller chez le médecin avec ces attestations. »

 

« Vous n’avez plus d’argent, c’est ça ? »

 

Pour faire plaisir à Julie, Alain hoche la tête et répète du bout des lèvres la fin de ses phrases, un tic pour prouver qu’il écoute. Mais l’assistante sociale s’interrompt.

 

« Ça va ? J’ai l’impression de partir dans tous les sens.

– Oui oui ça va, j’ai juste un peu mal à la tête.

– Vous avez vu un médecin ? Ou acheté du Doliprane ?

– Non…

– Vous n’avez plus d’argent, c’est ça ? »

 

Non, Alain n’a plus d’argent. On est le 29 octobre, et au début du mois il avait prêté la moitié de sa fortune personnelle, c’est-à-dire 100 euros sur 200, à son codétenu. Lorsqu’il avait pris cette initiative, Julie avait désapprouvé du regard et prévenu : ce n’était pas la meilleure idée du monde.

 

Le codétenu, « une vieille personne de 60 ans, encore plus dans le besoin que moi », plaide Alain, n’a pas encore pu rembourser cette somme qui lui aurait été bien utile. A l’entendre, je me dis qu’Alain ne la lui a peut-être pas réclamée.

 

« Je suis résistant, c’est un rythme à prendre »

 

 

Une assiette vide (Frank Lindecke/Flickr/CC)

Julie évite de lui faire sentir qu’elle a malheureusement remporté le pari. Mais quand Alain lâche qu’il n’a pas mangé depuis dimanche – il travaillait, un repas lui est fourni – elle s’alarme. Il faut dire qu’on est mardi.

 

« Là avec toutes les démarches et les déplacements, vous avez besoin de vous concentrer et de travailler, vous ne pouvez PAS ne pas manger, vous n’êtes pas Superman. C’est pas étonnant que vous ayez mal à la tête et la nausée si vous n’avez rien dans le bide depuis trois jours. Vous allez finir à l’hosto avec une perf’ dans le bras. »

 

Alain reste un peu mou et honteux sur la chaise en face. Fier quand même. « Je suis résistant, c’est un rythme à prendre. » Un rythme dur à tenir aussi. Le soir à la Santé, il ne mange pas les repas distribués. « J’ai essayé deux fois, j’ai vomi. » De manière générale, il se nourrit peu et dort avec parcimonie, même à l’hôtel :

 

« A force d’être enfermé, on a des fois l’impression que les murs rétrécissent. »

 

Papy braqueur

 

A titre exceptionnel, parce qu’Alain n’a pas eu un salaire complet le mois dernier, l’assistante sociale décide de lui donner un carnet de quatorze Ticket Service, 49 euros au total. Il peut s’en servir dans les supermarchés et certaines sandwicheries pour tenir jusqu’à la prochaine paie.

 

La discussion reprend, sur l’avenir – la liberté conditionnelle prévue en avril – et le passé. Alain se décoince un peu, parle de son ancienne vie, bâtie sur le « goût du risque » et le « besoin d’adrénaline » quand Julie lui lance une question dans l’estomac en le regardant droit dans les yeux :

 

« Maintenant que vous êtes en galère, est-ce que la question de la récidive se pose ? »

 

Il n’hésite pas longtemps.

 

« Non, je ne me questionne pas. Je ne suis pas reparti voir mes anciens collègues. Des gens me doivent beaucoup, beaucoup d’argent mais en allant les voir le passé referait surface. J’ai envie de changer. Je suis prêt à beaucoup de concessions.

 

En détention on voit des gens qui ont 60 ans et sortiront à 70 ans, ils ont arrêté trop tard. J’ai demandé : “ Quand tu sortiras, tu vas retravailler ? A 80 ans, retourner sur des braquages ?” Il m’a répondu : “Je sais faire que ça.”

 

Moi, je ne sais pas faire que ça. C’est à moi de pas retomber dans mes travers, de pas faire le fou. »

 

Comme vendredi est un jour férié, Alain restera plus longtemps à l’hôtel ce week-end : de jeudi soir à lundi matin.

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