Le CHRS Safran accueille Camille Polloni, journaliste de rue89

« Vous présentez bien, vous ne faites pas gangster »

L’Apcars (Association de politique criminelle appliquée et de réinsertion sociale), dont le budget dépend du ministère du Logement, fournit un hébergement en hôtel à des sortants de prison et des personnes sous main de justice : en permission de sortie, en semi-liberté, en libération conditionnelle, en sursis avec mise à l’épreuve.

Au Safran, l’un des deux centres d’hébergement et de réinsertion sociale de l’Apcars, à Paris, les travailleurs sociaux reçoivent 60 personnes au moins une fois par semaine pour les accompagner dans leurs démarches administratives.

 

 

Alain est un garçon noir à lunettes, le visage jeune mais déjà 36 ans au compteur. Il prend l’air le plus sérieux possible, soutenu dans cette entreprise par sa chemise jaune pâle et son gilet rouge. Un peu nerveux, il prête à notre premier rendez-vous une solennité particulière.

 

Je ne sais rien de lui. Seulement qu’il a été condamné à deux ans de prison, et que dans le cadre d’un aménagement de peine il se retrouve en semi-liberté. La semaine, le détenu doit rentrer tous les soirs à maison d’arrêt de La Santé, à Paris, faute de quoi il serait déclaré évadé. « Je comprends qu’ils ne me fassent pas confiance, je suis un prisonnier », accepte-t-il sans broncher.

 

 

L’entrée de la prison de La Santé à Paris, en 2005 (JOEL ROBINE / AFP)

Une cellule de 7 m2 avec un codétenu

 

Du vendredi soir au lundi matin, grâce à Julie et à l’association qui l’emploie (lire encadré ci-contre), il a gagné le droit de dormir à l’hôtel. Jusqu’à fin décembre en tout cas, après il n’y a plus de place. Il sera orienté vers une autre structure.

 

Alain partage son temps libre entre la fac où il a commencé des études de psychologie et un emploi à mi-temps dans une chaîne de restauration rapide. Au moins une fois par semaine à partir de maintenant, il viendra dans ce petit bureau de l’association. Moi aussi.

Il n’était pas obligé d’accepter. Mais en prison, il a rencontré des journalistes de La Croix pour un atelier d’écriture et ça lui a plu. Alors l’idée que je tienne un blog sur son parcours de réinsertion ne le dérange pas. Même avec son vrai prénom.

 

Au fil de ces rendez-vous, j’en apprendrai plus sur son parcours carcéral, les difficultés de sa nouvelle vie, les stratégies qu’il adopte pour expliquer (ou pas) à ses copains de fac et à ses employeurs pourquoi il retourne en prison la nuit. Dans sa cellule de 7 m2, son codétenu, comme lui, travaille à l’extérieur la journée.

 

« La cohabitation se passe bien. Quand je rentre à 18 heures, j’ai deux heures devant moi pour réviser avant qu’il arrive. »

Pas d’ordinateur mais un dico de psycho.

Le plus délicat, pour l’instant, c’est d’organiser son temps.

 

Etudier sans ordinateur personnel, aller sur Internet à la bibliothèque de la fac, toujours garder un œil sur l’heure, sans avoir « tous les livres qu’il faut parce que je n’ai pas d’argent ».

Ne pas pouvoir trimballer partout le dictionnaire de psycho, « grand comme ça » (il fait un geste carré de la taille de ses cuisses).

Penser à demander les dates des vacances scolaires, souscrire une mutuelle, avoir son planning de boulot seulement quinze jours à l’avance. Les partiels sont en décembre.

« C’est un sacré rythme », l’encourage Julie. Alain est un bon client :

« Déjà, vous avez fait beaucoup pour moi, l’hôtel me permet d’étudier quelque part le weekend, avant j’allais à McDo. »

 

Il raconte qu’il vit dans un foyer

 

Son employeur ne connaît pas sa situation judiciaire, malgré l’adresse (42, rue de la Santé) mentionnée sur son CV. En tout cas, personne ne lui en a parlé là-bas.

Quand il demande des attestations d’horaires, Alain raconte qu’il vit en foyer et n’est pas entièrement libre de ses mouvements. Pas si loin de la réalité.

 

Julie le rassure. Même si son patron avait deviné, « vous présentez bien, les gens doivent se dire “il fait pas gangster”. ».

 

Il a déjà état condamné il y a dix ans à six mois de prison. Alain ensuite travaillé et vécu sans encombre jusqu’à cette deuxième peine (dont il ne m’a pas encore parlé, mais cela viendra m’a-t-il dit. Plus longue, il l’a purgée en Ile-de-France (La Santé, Bois d’Arcy, Réau). Et dans l’Est, à Saint-Mihiel (Meuse) :

 

« Dans certains établissements “vous faites votre temps et on vous jette dehors”, sans possibilité d’étudier. Dans d’autres il faut choisir entre les études et le travail, et puis un transfert impromptu met tout par terre. »

 

Un prisonnier appliqué

De retour à La Santé, Alain a finalement réussi à travailler comme auxiliaire (les détenus qui distribuent des repas, nettoient les coursives et les cellules) et à valider un Diplôme d’accès aux études universitaires (DAEU).

 

« Apprendre, c’est ce qui me permet de m’extraire de cet ensemble carcéral. De ne pas péter les plombs. »

 

Il convainc le juge d’application des peines qu’il est capable de suivre des études en travaillant à mi-temps, « comme tout le monde », si on le laisse en semi-liberté. Accordé.

La décision est rare pour un détenu sans projet professionnel précis et minuté. En tout, 5 331 condamnés ont été placés en semi-liberté en 2010 (derniers chiffres disponibles). C’est sans doute la détermination affichée d’Alain, prisonnier appliqué espérant prouver sa bonne foi, qui a emporté le morceau.

 

Profil

 

Judith Le Mauff, cheffe de service au Safran, explique que le profil des personnes accueillies « reflète le public carcéral » :

 

« Comme en prison, il y 95% d’hommes, plutôt trentenaires. Ils sont ici parce qu’ils n’ont pas d’hébergement, ce qui montre les difficultés qu’ils ont pu rencontrer dans leur vie, même bien avant la détention : ce sont souvent des personnes isolées, qui ont épuisé le réseau familial et amical ou n’en avaient pas. »

 

Pour accéder à l’article original, cliquez ici 

source : blogs.rue89.com
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