L'article de La Croix sur le bureau d'aide aux victimes du tribunal de Créteil

 

Des bureaux d’aides aux victimes bientôt dans tous les tribunaux

Début 2014, selon l’engagement du ministère de la justice, tous les tribunaux français seront dotés d’un bureau d’aide aux victimes

 

Reportage à Créteil (Val de Marne), d’ores et déjà le plus important.

 

En ce matin d’automne, au fond du grand hall du tribunal de Créteil, une jeune femme en cheveux, pull et jean noirs, est pendue au téléphone. Pas le temps de raccrocher et de lancer un « Bonjour, bienvenue au bureau d’aide aux victimes », que déjà, le téléphone re-sonne.

 

Aude s’excuse et s’en retourne, bloc-notes en main, dans son petit bureau vitré. « Je vous appelle parce que j’ai été victime de violences de la part de mon conjoint », dit une voix tremblante, à l’autre bout du fil. La juriste, dans un premier temps, ne tergiverse pas. Elle interroge et note, dans l’ordre, la date et le lieu du dépôt de plainte, les conclusions de la visite médicale, si la femme habite toujours avec son agresseur.

 

« Je suis un peu perdue vous savez, poursuit la victime. J’ai déjà fait des tentatives de suicide. » Aude, 27 ans, attrape l’agenda du service, rangé dans une petite étagère à côté. « Nous avons une psychologue ici, qui peut vous recevoir gratuitement, répond-elle. Pourriez-vous venir mardi ? Ou jeudi ? » Mieux vaut prendre date immédiatement : « On ne laisse jamais une victime sans soutien ni solution, explique la jeune femme, en aparté. Si on ne sait pas, on se renseigne et on rappelle. »

 

En majorité, des femmes victimes de violences

 

« Je voulais aussi savoir si je pouvais retirer ma plainte », reprend la femme à voix basse. Un cas d’école pour ce type de violences, que la juriste connaît bien  : c’est le premier public accueilli au bureau d’aide de Créteil, l’un des plus importants. 2 752 personnes y ont été accueillies l’an dernier, au cours de 253 jours de permanence. 60 % des saisines sont formées par les femmes ; 43 % des demandes relevant du pénal concernent des violences volontaires, dont une grande majorité de violences conjugales.

 

Pour la première fois de la journée, Aude enfile ses habits de technicienne du droit et explique : après un dépôt de plainte, ce n’est pas la victime qui poursuit l’agresseur, mais le procureur, au nom de la société. La victime peut se greffer à la procédure en se constituant partie civile mais une fois l’action publique engagée, rien ne peut l’interrompre.

 

« Et que risque-t-il alors ? », s’inquiète encore la femme. En quelques clics, Aude consulte le code pénal sur son ordinateur. « Au maximum, trois ans de prison et 45 000 € d’amende. Mais ce peut être moins. » Silence. Aude laisse passer quelques secondes et conclut l’entretien : « J’ai bien conscience que c’est difficile, Madame, et que je vous ai donné beaucoup d’informations d’un coup. Alors surtout, n’hésitez pas à nous recontacter, d’accord ? On répondra toujours. »

 

Leur mission : être des facilitateurs

 

Aude va répéter cette phrase une petite dizaine de fois ce jour-là, à un accidenté de la route, à la mère d’un jeune homme tabassé ou à un homme dont la voiture a été volée puis accidentée. De permanences en rendez-vous, Aude et sa collègue, Sophie, représentent pour les victimes un point de repère dans un système perçu comme déshumanisé.

 

« Nos missions, c’est l’accueil, l’écoute, l’information et l’accompagnement, résume la jeune femme. Nous sommes des facilitateurs. On regroupe les documents et on explique les procédures : qui fait quoi, dans quels délais et quels sont les recours. Nous faisons aussi beaucoup de suivis de plaintes, pour vérifier où en est l’enquête de police et si elle a été transmise au procureur. Les délais sont tellement longs que, parfois, les victimes ont l’impression que rien ne se passe. C’est douloureux pour elles. »

 

Chaque début de semaine, le bureau est aussi chargé d’informer les victimes du passage en comparution immédiate de leur agresseur. Enfin, beaucoup de demandes concernent la Civi, la commission d’indemnisation des victimes d’infractions, dont le fonctionnement complexe et les délais souvent longs – plusieurs mois – peuvent être mal compris.

 

En lien étroit avec les services administratifs

 

Toutes ces missions, le bureau peut les accomplir car l’association qui le gère est présente de longue date au tribunal de Créteil. Bien intégré, le bureau fonctionne donc plutôt en bonne harmonie avec les services administratifs, l’ordre des avocats, les greffiers et les médiateurs.

 

« Dans d’autres juridictions, cela peut être plus difficile, explique Aude qui travaille aussi au tribunal de Paris. On n’est pas toujours bien identifiés, même par les professionnels. À nous de nous faire connaître et de montrer qu’on peut être utiles. Cela se met en place progressivement. »

 

L’après-midi, un homme se présente avec son beau-fils. Il y a des années, il a été harcelé et escroqué par une bande d’individus, durant plusieurs mois. La première audience, enfin, doit se tenir la semaine prochaine. Mais il n’a pas d’avocat, n’a jamais mis les pieds dans un tribunal et sait à peine ce que veut dire « se constituer partie civile ».

 

Aude lui transmet la liste des avocats de « permanence victime » mais refuse quand il demande de lui donner un nom. « On informe, mais on ne conseille pas, justifie-t-elle. C’est un des points qui nous distinguent des avocats. Nous ne donnons pas d’avis, seulement des options. »

 

« On se sent vraiment mieux, madame ! »

 

Parmi celles-ci, l’homme pourra demander, le jour de l’audience, un « renvoi sur intérêt civil ». « Un quoi ? », lâche-t-il, une lueur désespérée dans le regard. Aude renfile ses habits d’experte : à l’audience, le juge va trancher sur la culpabilité de la personne et sa peine, mais il peut reporter à plus tard la partie concernant les dommages et intérêts, laissant ainsi le temps à la victime de s’organiser et de les évaluer. « Ah, bah quand on sort de votre bureau, Madame, on se sent vraiment mieux ! », sourit l’homme en lui serrant la main, soulagé.

 

Dans la salle d’attente aménagée avec quelques chaises, des plantes vertes et un porte-dépliants, le prochain rendez-vous d’Aude l’attend. Toutes les deux semaines, elle réserve quelques créneaux pour les dossiers les plus sensibles, ceux qu’elle reçoit dans un bureau à l’arrière.

 

Ce jour-là, mandatée par le procureur, elle doit informer une vieille dame qui a été renversée par une voiture que sa plainte est classée sans suite : il n’y a pas de preuves suffisantes que le conducteur a commis une faute. Immédiatement, la victime fond en larmes. « Ma mère, c’était quelqu’un de joyeux, mais depuis l’accident, elle ne fait que pleurer, raconte sa fille qui l’accompagne. Elle marche mal et ne peut quasiment pas bouger le bras. Elle dit qu’il lui a ruiné la fin de sa vie. »

 

Une aide aussi pour gérer son stress

 

Aude expose aux deux femmes les recours possibles. Elle rappelle que la victime est couverte par son assurance. Enfin, elle conseille un rendez-vous avec la psychologue.

 

Ce bureau, justement, est mitoyen. Pas bien grand, il est équipé d’un lit de relaxation. « C’est primordial pour les victimes d’apprendre quelques techniques de relaxation et de respiration, explique Véronique Cugnet-Richard. Ce sont des outils qui leur permettent de gérer un peu mieux le stress. Certaines ont du mal à dormir ou paniquent quand elles doivent repasser sur les lieux de leur agression. »

 

Au service d’aide aux victimes, la psychologue ne fait pas de suivi sur le long terme. « Je me concentre essentiellement sur les faits que je fais répéter aux victimes, encore et encore. Pour se protéger, elles ont tendance à être dans l’évitement, alors qu’il faut qu’elles affrontent les faits pour les dépasser et les rationaliser. Qu’elles le veuillent ou non, le drame représentera toujours une cassure dans leur vie. Le but, c’est que l’émotion et la souffrance qui y sont rattachées, elles, s’estompent. » Le plus souvent, assure-t-elle, une à cinq séances suffisent.

 

source : Lacroix.fr
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