A Alain, en semi-liberté : « Alors, ce premier week-end à l’hôtel ? »

Le troisième article de Camille Polloni est apparu sur son blog. Suite de l’histoire d’Alain, étudiant et détenu en semi liberté, suivi dans notre CHRS le Safran.

 

« Alors, ce premier week-end ? » lance Julie d’une voix encourageante. L’assistante sociale sait que les premières nuits à l’extérieur ne sont pas toujours faciles pour les détenus. « J’ai bossé, j’ai bossé, j’ai bossé », répète Alain. « Ça fait tout drôle, au début… » il ajoute timidement.

 

Détenu en semi-liberté, Alain dort quatre nuits par semaine en prison et trois à l’hôtel. La journée, il étudie la psychologie et travaille dans un fast-food. Rue89 le retrouve chaque semaine lors de son entretien avec Julie, assistante sociale.

« Qu’est-ce qui fait tout drôle ?

– Les fenêtres.

– Sur quoi donnaient les fenêtres ?

– En fait je regardais surtout les fenêtres, pas trop ce qu’il y avait dehors. Elles n’avaient pas de barreaux. »

Depuis qu’elle avait été prononcée, au mois de juin, et jusqu’à la semaine dernière, la semi-liberté d’Alain restait en partie théorique. Il pouvait bien sortir la journée, mais faute d’hébergement devait dormir à La Santé le week-end.

 

« Les commentaires sont un peu élogieux »

Alain a lu le premier billet de ce blog. On lui imprime le deuxième, il lit le titre (« A la fac, personne ne sait qu’Alain est détenu ») avant de le ranger dans son sac.

 

« Ah, c’est pour ça, j’entendais des gens à la fac qui disaient : “Il y a quelqu’un qui est détenu.” »

 

Pour l’instant, personne n’est venu lui en parler, mais il imagine que ça viendra. Peu importe, en fait. « Il faudra bien que la vérité éclate. » Ce projet d’écriture aura sans doute des implications sur le déroulement de sa semi-liberté, sur sa façon de recréer des rencontres. Alain n’en doute pas.

 

Spontanément, il raconte avoir lu les commentaires des riverains. Je me rappelle certains, qui le voient déjà récidiver ou lui reprochent des études de psycho inutiles, et je me demande ce qu’il en pense. Mais ce n’est pas ceux-là qu’il retient :

 

« Les commentaires sont un peu élogieux. Les gens voient ça d’un bon œil mais il faut se battre, ça n’est pas facile.

 

Comme j’essayais de m’en sortir, ça m’a mis un peu à l’écart, on rigolait un peu de moi. Il ne faut pas trop s’habituer à l’enfermement.

 

En étant détenu, tu as plutôt tendance à tomber du mauvais côté que du bon. Il est très rare que les gens reprennent leurs études. Pourtant le temps de détention devrait être utilisé pour faire quelque chose de bien, de concret. »

 

« Je dis que je dors dans un foyer »

 

Plutôt que ses camarades de l’université, l’ennui serait que son employeur devine. Comme la plupart des détenus qui ont trouvé un travail par eux-mêmes, Alain n’a pas précisé qu’il dormait en prison.

 

Il obtient son planning quinze jours à l’avance, et si ses journées dépassent les horaires de sortie autorisés, il doit montrer un justificatif à l’administration pénitentiaire.

 

« C’est un peu gênant de demander ça à mon employeur à chaque fois. Je suis dans un cas un peu particulier, je dis que je dors dans un foyer où il y a des horaires, que j’ai absolument besoin d’un papier. Ils le prennent bien pour l’instant, mais bon… »

 

Mais bon, il est encore en période d’essai. Julie décide de sonder la conseillère d’insertion et de probation d’Alain, la fonctionnaire du ministère de la Justice qui suit son dossier. Serait-il possible d’élargir les horaires de semi-liberté de façon permanente ? Au fil de la conversation téléphonique, Julie sourit de moins en moins et ne dit presque plus rien. Elle raccroche et, le plus délicatement possible :

 

« Ce n’est pas possible de faire un changement global, ce n’est pas négociable. Mme X. dit que c’est le jeu de la semi-liberté et que vous en connaissiez les conditions. »

 

source : Blogs.rue89.com
Partagez :