Article de Guillaume Perrault, paru sur Lefigaro.fr le 3 juin 2010
Les sénateurs aiment tellement les défenseurs des droits qu’ils les préféreraient au pluriel. Ils ont pourtant obtempéré. La Chambre Haute avait refusé mercredi de fondre le populaire défenseur des enfants au sein du futur «défenseur des droits» appelé à regrouper le médiateur de la République, le défenseur des enfants, la Commission nationale de déontologie de la sécurité et la Haute Autorité de lutte contre les discriminations. Le garde des Sceaux, Michèle Alliot-Marie, a alors demandé une nouvelle délibération. Et la majorité sénatoriale lui a finalement donné gain de cause.
Lors de l’examen du projet de loi créant le défenseur des droits, jeudi après-midi, le président du groupe centriste, Nicolas About (Yvelines), et Hugues Portelli (UMP, Val-d’Oise), soutenus par l’opposition, avaient d’abord fait adopter deux amendements pour maintenir l’autonomie du défenseur des enfants. «Aujourd’hui, le défenseur des enfants est parfaitement identifié par ceux-ci», avait argumenté Nicolas About. Si le gouvernement obtient gain de cause, «il sera remplacé par un adjoint du défenseur des droits sans autonomie de décision», s’était-il ému. Après l’adoption de ces amendements par 175 voix contre 160, la défenseure des enfants, Dominique Versini, s’était réjouie d’une décision «vraiment juste».
Confrontée à la fronde d’une partie de la majorité sénatoriale, Alliot-Marie a alors demandé une nouvelle délibération. Après des tractations lors de deux suspensions de séance, About s’est déclaré satisfait des assurances du gouvernement. Portelli a en revanche exprimé son amertume. «Je ne dirai plus rien, je n’ai pas été élu sénateur pour fonctionner comme ça», s’est-il exclamé. Le gouvernement espérait obtenir un vote favorable du Sénat dans la soirée.
L’escarmouche illustre la situation inconfortable du gouvernement au Sénat. L’UMP n’y dispose plus que d’une majorité relative, et dépend du bon vouloir des sénateurs centristes ou de leurs collègues radicaux de gauche.
Sur le fond, la controverse a pris naissance lors de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008. Nicolas Sarkozy avait alors souhaité créer une autorité administrative indépendante à vocation généraliste en matière de défense des droits et libertés, à l’image de l’Ombudsman scandinave. Alliot-Marie a justifié cette unification, consacrée par le titre XI bis de la Constitution par le souci de mettre un terme à «une approche éclatée, parfois contradictoire» de leurs missions respectives par ces différentes autorités. Les orateurs socialistes ont rétorqué que des instances spécialisées et de taille modeste étaient plus efficaces. Et ils ont accusé le gouvernement de vouloir étouffer ces contre-pouvoirs en créant un monstre bureaucratique.
Alliot-Marie s’est défendue de vouloir limiter les moyens d’action de ces autorités administratives indépendantes, dont la multiplication et les méthodes suscitent pourtant les critiques de certains juristes. Tout au contraire, le garde des Sceaux a affirmé que le projet de loi accordait au défenseur des droits des prérogatives jamais concédées à ses devanciers. «Il disposera de pouvoirs d’investigation et de contrôle, d’accès aux locaux publics et privés sous le contrôle du juge, a annoncé Alliot-Marie. Toute entrave serait pénalement sanctionnée».