Réforme pénale : la pochette surprise de Taubira

Le Sénat a adopté la réforme pénale. Mais il l’a tellement amendée, que nul ne sait ce qu’il adviendra du texte en commission mixte paritaire.

« À force de dire que la gauche est laxiste, la droite en est devenue laxative. » La tirade est signée d’un célèbre avocat du barreau parisien, Léon-Lef Forster. Au Sénat, l’UMP s’est en effet presque fait oublier, mises à part les interventions du sénateur Jean-René Lecerf, tout acquis à l’esprit de la réforme pénale. Finies les critiques pour laxisme, angélisme et autres calinothérapies. Désormais, c’est bel et bien à gauche que se joue le débat. Et certaines mesures adoptées par la chambre haute sont déjà très décriées. Christophe Régnard, président de l’Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire), accuse : « Les sénateurs ont torpillé la réforme pénale. »

Alors que le projet de loi avait le soutien de l’USM, du Snepap-Fsu (Syndicat des personnels de l’administration pénitentiaire), et surtout du gouvernement, la mouture du rapporteur Jean-Pierre Michel n’en finit plus de faire polémique. Dominique Raimbourg, rapporteur du texte à l’Assemblée nationale, tempère : « Ne nous affolons pas. Un compromis doit être trouvé en commission mixte paritaire. » Il s’agit de la dernière étape, le 8 juillet, avant une adoption définitive du texte. Alors, quels sont les amendements qui fâchent ? Analyse.

 Pas de prison pour certains délits

Initialement, la contrainte pénale (peine en milieu ouvert pour les délits passibles de 5 ans de prison et moins) devait s’ajouter à l’arsenal de sanctions à disposition des juges. Mais Jean-Pierre Michel a fait adopter un amendement pour en faire une peine autonome. « Si la contrainte pénale reste une alternative à la prison, les juges ne la prononceront pas », estime-t-il. En clair, pour certains délits, la contrainte pénale sera encourue à titre principal et les juges ne pourront plus prononcer de peines de prison. La liste est longue : conduite d’un véhicule sans permis, filouterie, destruction, dégradation ou détérioration d’un bien (tags, voitures abimées, feux de poubelle…), délit de fuite après un accident, usage de stupéfiants, occupation des halls d’immeuble, refus d’obtempérer lors d’un contrôle routier, conduite d’un véhicule en état d’ébriété et tout un tas d’infractions routières. Le summum du laxisme, tacle l’UMP.

Christiane Taubira elle-même craint que la contrainte pénale ne soit trop lourde pour ce type de délits. « Dans certains cas, la contrainte pénale sera le marteau pour écraser la mouche », juge-t-elle. « C’est le mécanisme de la peine plancher à l’envers », s’emporte Christophe Régnard. « On nous accusait d’être trop laxistes, donc on nous a imposé des peines minimales. Et désormais on nous accuse d’être trop répressifs, et on nous enlève la possibilité de prononcer la prison. C’est n’importe quoi », tonne le juge. D’autant plus qu’en 2012, les condamnations pour infraction à la circulation routière représentent presque la moitié (243 550) des condamnations pour délits (plus de 570 000, selon des chiffres du ministère de la Justice). « On est en train de tuer la contrainte pénale, s’agace Christophe Régnard. On n’aura jamais assez de conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation pour suivre tout ce monde-là. »

 Une forme de privatisation de la justice

C’est une vraie révolution dans notre droit pénal. Par un amendement de la sénatrice socialiste Dominique Gillot, le Sénat associe, aux côtés des services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP), les associations habilitées dans le suivi des personnes condamnées en milieu ouvert. En clair : ce ne seront plus seulement des fonctionnaires qui seront chargés de contrôler les obligations et interdictions qui pèsent sur les condamnés, mais également des associations de droit privé. Le Snepap-Fsu s’est déjà insurgé contre la mesure, justifiant que chacun devait rester à sa place, et que les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP) avaient une formation spécifique pour faire leur travail. Ce qui n’est pas le cas des associations. Sur Twitter, les échanges ont parfois été très vifs.

Contacté, Frédéric Lauféron, directeur général de l’Apcars (une association de réinsertion sociale), s’est, lui, dit extrêmement favorable. « C’est une très bonne nouvelle, d’autant plus que nous faisons déjà ce travail en pré-sentenciel. Nous travaillons par exemple beaucoup sur le contrôle judiciaire. Cet amendement est une consécration de la tendance à associer la société civile dans l’exécution de la peine. Il faut mobiliser la société, aller chercher des réseaux de terrain. La contrainte pénale, c’est la peine dans la communauté avec la communauté ! »

Autre avantage de la manoeuvre : le coût. Ces amendements n’ont fait l’objet d’aucune étude d’impact. Même avec les 1 000 CPIP embauchés par le ministère de la Justice, il est quasiment certain que les effectifs ne seront pas suffisants. Associer le privé au suivi des personnes condamnées permet ainsi de pallier le manque de moyens. Au Parlement, une source proche du dossier s’inquiète : « On est en train de mettre le feu aux poudres. Il faut faire attention à ne pas aller trop loin, sinon on va froisser tout le monde. »

Les tribunaux correctionnels pour mineurs trépassent, la rétention de sûreté reste

Christiane Taubira a émis un avis favorable du gouvernement pour supprimer les tribunaux correctionnels pour mineurs, qui « ne condamnent pas plus fermement que les tribunaux pour enfants ». Il faut réaffirmer la spécificité de la justice des mineurs, a-t-elle dit, promettant qu’une réforme beaucoup plus large était à l’étude. Sous les années Sarkozy, un arsenal de plus en plus répressif avait été adopté, tendant à juger les mineurs de plus en plus comme les adultes.

Les sénateurs ont en revanche renoncé à supprimer la rétention de sûreté (peine après la peine), une des promesses de campagne de François Hollande. « Je dois dire très clairement que nous sommes favorables à la suppression de la rétention de sûreté. Il n’y a pas d’ambiguïté », a toutefois assuré Christiane Taubira, qui promet de s’attaquer à ce point dans un texte ultérieur.

Des réductions de peine pour les détenus qui apprennent à lire

Un amendement déposé par le gouvernement prévoit que des réductions supplémentaires de peine pourront être accordés aux détenus qui manifestent « des efforts sérieux de réadaptation sociale en s’investissant dans l’apprentissage de la lecture, de l’écriture et du calcul, en participant à des activités culturelles ». Pas si loin, finalement, d’un amendement qui avait été déposé à l’Assemblée nationale par les députés Gaymard et Poisson, et qui avait été largement moqué. « Lire de la bonne littérature sert à apprendre (…) ce que nous sommes et comment nous sommes, dans notre intégrité humaine, à travers nos actes », expliquaient alors les députés.

Retour à la loi Dati

Depuis la loi pénitentiaire de 2009, les peines de prison inférieures ou égales à deux ans pour les primodélinquants, et un an pour les récidivistes, étaient aménageables dès leur prononcé par les juridictions de jugement. L’Assemblée nationale avait abaissé ce seuil à un an pour tout le monde (la mesure était donc plus sévère que ce qui avait été voté par la droite). Finalement, les sénateurs ont décidé de revenir à la loi Dati. « Il est sain de maintenir la différence entre récidiviste et primodélinquant, a appuyé Jean-René Lecerf, ancien rapporteur de la loi pénitentiaire (…) Il faut aussi nous soucier de pédagogie face à l’opinion, pour lui faire accepter cette réforme. »

Par MARC LEPLONGEON

source : Le Point
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