C’est, pour la justice, la grande affaire du quinquennat, et une occasion historique de repenser profondément les sanctions pénales. Christiane Taubira, la garde des sceaux, devait lancer, mardi 18 septembre, la démarche en installant place Vendôme un « comité d’organisation », chargé de préparer en février une « conférence de consensus » sur la lutte contre la récidive et la création d’une peine de probation.
Ce n’est pas une mince affaire : le système français est clairement dans une impasse, et les gouvernements successifs se sont contentés de créer, à grand frais, de nouvelles places de prison aussitôt remplies, qui favorisent, plutôt qu’elles n’amenuisent, la récidive. 77 485 personnes – record historique – étaient placées sous écrou au 1er août, dont 66 748 incarcérées. En ignorant superbement les travaux internationaux sur la récidive ou la sortie de la délinquance, « la désistance ».
Vingt membres
Il s’agit ainsi d’installer un comité d’une vingtaine de personnes – curieusement hors la présence de la presse, alors qu’il s’agit d’abord d’expliquer la démarche au public – qui aura quatre missions : définir les questions posées, d’abord – le champ est vaste, il s’agit de le cerner, parle-t-on de la récidive ou de la probation, même si les deux questions sont connexes. Etablir ensuite une synthèse bibliographique, d’autant que les recherches, notamment anglo-saxonnes, sont très nombreuses. Choisir enfin les experts, qui vont présenter une analyse écrite avant d’être interrogés lors de la conférence, choisir enfin le jury de consensus, présidé par une personnalité incontestable, qui entendra, en public, les experts pendant deux jours en février 2013 et rédigera des recommandations, dont le gouvernement aura ou non le courage de se saisir.
Il y a déjà deux écueils. Le délai d’abord. La préparation d’une conférence de consensus prend en moyenne un an ; le comité n’a que cinq mois devant lui. La méthode a souvent été éprouvée dans le domaine médical, pour la justice, c’est une première.
Le choix du comité, ensuite. Evidemment, tout le monde veut en être. La chancellerie a courtoisement expliqué aux parlementaires et aux organisations syndicales qu’ils n’en seraient pas membres, même si les syndicats – et donc les professionnels de la probation et les acteurs de terrain – seront très vite entendus.
Nicole Maestracci
Le garde des sceaux a choisi Nicole Maestracci, la première présidente de la cour d’appel de Rouen, pour présider le comité. Le choix n’est pas discuté.
Magistrate, Nicole Maestracci connaît bien la pénitentiaire, n’ignore rien des rouages de l’administration ou des ministères, et a dirigé des équipes sur des sujets de société complexes avec une pondération qui a toujours forcé le respect. Après avoir été trois ans avocate, elle a intégré la magistrature en 1977, a été juge des enfants, juge de l’application des peines, conseiller puis présidente de chambre à la cour d’appel de Paris, et présidente du tribunal de Melun. Elle connaît tout aussi bien la prison, pour avoir été chef de bureau à la direction de l’administration pénitentiaire, conseiller technique au cabinet du garde des sceaux (Pierre Arpaillange) de 1988 à 1990 et secrétaire du Conseil de la recherche. Elle a enfin été conseiller auprès du délégué interministériel à la sécurité routière et a surtout dirigé la Mildt, la mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie de 1998 à 2002, avant d’être remplacé par un proche du pouvoir. Elle a enfin assuré la présidence de la fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (Fnars) jusqu’à cette année.
C’est surtout l’une des rares magistrates à avoir déjà participé, ou présidé, une conférence de consensus, sur les interventions médicales en garde à vue, la prise en charge des psychopathes, où la sortie de la rue pour les SDF.
Le comité d’organisation sera épaulé par deux secrétaires généraux, Maud Coujard, une magistrate de l’inspection générale des services judiciaires et dont le sens de l’organisation est unanimement salué, et Eric Molinière, directeur fonctionnel pénitentiaire d’insertion et de probation.
Parmi les vingt membres, la chancellerie a choisi Denis Lafortune, chercheur au centre international de criminologie comparée de l’université de Montréal, très bon connaisseurs des multirécidivistes en maison d’arrêt, et une autre chercheuse canadienne.
Jean-Claude Bouvier, juge d’application des peines à Créteil est l’un des coordinateurs du manifeste, publié par Libération, « Prévention de la récidive, sortir de l’impasse » ;
Eric Senna, est professeur de droit et conseiller à la chambre de l’application des peines de la cour d’appel de Montpellier, par ailleurs membre de l’association des juges de l’application des peines.
Myriam de Crouy-Chanel, vice-présidente à Pontoise, a une solide connaissance des aménagements de peine du temps où elle était au parquet ;
Elliot Louan représentera indirectement la pénitentiaire et les conseillers d’insertion et de probation, il a fait plusieurs stages au Canada et connaît parfaitement la situation des détenus et leurs problèmes psychiatriques, il a d’ailleurs travaillé avec
le professeur Jean-Louis Senon, professeur des universités à Poitiers et praticien hospitalier et psychiatre de renom.
Autre cadre de la pénitentiaire, Patrick Madigou, directeur du service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) de Paris et président de la CEP, l’organisation européenne de probation, ils seront rejoints par
Valérie Decroix, ancienne directrice de prison et surtout de l’école nationale de l’administration pénitentiaire (ENAP), virée sur un prétexte par Michèle Alliot-Marie en mai 2010 ; ainsi que
Sarah Dindo, co-directrice de l’Observatoire international des prisons (OIP) et auteure de plusieurs rapport, dont l’un est extrêmement complet sur le sursis mis à l’épreuve, enfin
Jean Danet, avocat honoraire et maître de conférence à la faculté de droit de Nantes, bien que plus spécialisé dans la criminologie que dans la probation, complètera l’équipe.
Les autres membres du comité d’organisation devraient être des représentants des ministères concernés – les affaires sociales, l’intérieur, l’éducation…
Le poids de la gauche
La composition de l’équipe, qui ne sera dévoilé que mardi matin, va évidemment faire grincer les dents. Les syndicats se demandent si les personnalités présentes ne représentent qu’elles mêmes ou leur organisation, les professionnels s’étonnent de la faible représentation des gens de terrain, des observateurs ne manqueront pas de remarquer le poids du Syndicat de la magistrature, classé à gauche, dont Nicole Maestracci et Jean-Claude Bouvier sont des piliers. Eric Senna est lui plus proche de l’Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire), mais n’a jamais eu de responsabilité dans l’appareil. Jean Danet enfin est un ancien président du Syndicat des avocats de France (SAF), marqué à gauche, et c’est assez pour s’inquiéter à droite, d’une conférence de consensus qui ferait surtout consensus à gauche.
Nicole Maestracci n’est pas inquiète.. « Il naît une certaine intelligence collective en réunissant des gens d’horizons différents, sourit la présidente. Les choses s’équilibrent naturellement. L’objectif, avec des gens de bonne volonté, est de rendre des choses complexes compréhensibles. »
Franck Johannès