Prisons: « Nos gouvernants persistent dans leur frénésie immobilière »

Dans une tribune adressée au « Monde », le géographe Olivier Milhaud plaide pour des alternatives à la prison en rappelant que nos voisins allemands ont su incarcérer moins de personnes pour moins longtemps, fait logiquement baisser la population carcérale et cela sans insécurité accrue.

05.04.2017

Par Olivier Milhaud (Géographe à l’université Paris-Sorbonne)

TRIBUNE.

Le ministre de la justice vient d’annoncer vingt et un sites des trente-trois prisons que le prochain gouvernement devra construire. L’implantation d’une prison sur son territoire inquiète. Et certains élus, de Nice à Cherbourg, commencent déjà à protester. Il faut dire que les critères d’implantation (besoins de la région, superficie de 10 à 15 hectares, desserte routière, proximité au tribunal, à l’hôpital, aux bassins d’emplois, terrain plat…) réduisent les possibilités.
Localement, les riverains craignent les évasions. Pourtant la France compte le nombre d’évasions parmi le plus faible d’Europe. Et quand elles se produisent, c’est plus souvent au tribunal ou à l’hôpital où le détenu a été mené, rarement en se cachant dans un camion de livraison quittant la prison. Les riverains ne courent presque aucun risque de croiser un fugitif…
Impacts économiques nuancés
Quant aux prix de l’immobilier aux alentours, ils n’ont pas baissé ces dernières décennies, tandis qu’on construisait soixante prisons depuis 1990 ! Dans une agglomération où le marché immobilier est en tension, l’implantation d’une prison ne vient pas ralentir le marché. L’arrivée de personnels pénitentiaires peut, à l’inverse, ponctuellement, limiter la dépréciation des terrains quand le marché est orienté à la baisse.

Les impacts économiques sont plus nuancés. Certes, le buraliste va faire fortune vu la consommation de tabac des détenus. Pour le reste, l’approvisionnement de la prison se fait à l’échelle de toute l’agglomération. Comment le petit boulanger du coin pourrait-il garantir une fourniture 365 jours par an de suffisamment de petits pains industriels, bien calibrés pour éviter les tensions entre les 400 à 700 détenus que comptent les nouveaux établissements ?
Bien sûr, cela amène des emplois publics (il faut néanmoins réussir un concours national pour entrer dans la pénitentiaire), et quelques emplois privés quand il s’agit d’un établissement géré par un constructeur concepteur. Mais les personnels ne logent pas tous dans la commune d’implantation.

 

+81 % de détenus depuis 1980
Ce qui inquiète en revanche est le déversement d’argent public pour construire encore et toujours. Certes la surpopulation constitue le problème majeur, censé être résorbé depuis une loi de 1875 toujours inappliquée. Mais la lourdeur accrue des peines prononcées, contrairement au mythe tenace d’une justice laxiste, se traduit par une augmentation des durées d’emprisonnement et donc à la surpopulation.

Jadis, les délits routiers ou sexuels étaient bien moins réprimés. La justice a désormais la main lourde : +81 % de détenus depuis 1980 ! Sans surprise, les constructions pourtant nombreuses sont toujours en retard sur les incarcérations croissantes : 55 000 détenus pour 49 000 places en 1998, 68 000 détenus pour 58 000 places aujourd’hui. L’effet d’appel d’air des constructions s’est toujours vérifié historiquement.
Arguments sécuritaires à droite, affichage politique à gauche (fermer les établissements vétustes au nom de la dignité des détenus et des personnels), la plupart des candidats veulent construire toujours plus de places. Ils s’interrogent rarement sur le gouffre financier : 115 000 euros la place de prison (prix à Orléans-Saran, ouvert en 2014), sans compter le surcoût des partenariats public-privé (PPP). La Cour des comptes craignait en 2011 l’insoutenabilité budgétaire de ces PPP : l’administration pénitentiaire devra-t-elle réduire ses dépenses de garde et de réinsertion pour payer les loyers ?

Des alternatives intelligentes à des prisons trop chères
Vu le gouffre financier, les Etats-Unis post-crise 2008 ont fait baisser leur population carcérale. Nos voisins allemands aussi : incarcérer moins de personnes pour moins longtemps fait logiquement baisser la population carcérale, sans insécurité accrue. On se doute que les libérations conditionnelles, qui permettent de suivre les ex-détenus, sont préférables aux sorties sèches, qui reviennent à les relâcher dans la nature sans aucun contrôle.

Au lieu de s’interroger sur des alternatives intelligentes (une visite d’un service de polyhandicapés lourds suite à un accident de voiture ne serait-elle pas plus utile aux délinquants routiers en termes de prévention et moins chère qu’un mois de prison ?), au lieu d’augmenter les subventions aux associations qui prennent des condamnés en placement extérieur pour leur éviter la prison ou qui les accompagnent à la sortie vers l’emploi, au lieu d’affecter les fonds à la réinsertion (un conseiller peut-il efficacement gérer seul 100 à 200 dossiers ?), nos gouvernants persistent dans leur frénésie immobilière tout en continuant à entasser des détenus dans 9 m².
Qui croit encore que cela prévient la récidive ? De l’aveu du ministère, le programme immobilier de 2011-2012 visant à créer 7 600 places va coûter 16 milliards d’euros. On dépense quinze fois moins pour la réinsertion, cent fois moins pour l’aide aux victimes. Sombre avenir : la note sera salée, et les sorties violentes.

Olivier Milhaud est l’auteur de « Séparer et punir. Géographie des prisons françaises », CNRS Editions, 2017, 300 pages, 25 euros.

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