Pourquoi il faut vider les prisons françaises

Croire qu’il suffit d’enfermer les gens et leurs problèmes dans une boîte pour ne la rouvrir que quelques années plus tard, comptant sur l’enfermement pour les résoudre ou croire que c’est en prison que l’on est dans les meilleures conditions pour s’amender et changer est aussi naïf que dangereux. En réalité, la prison aggrave les problèmes de délinquance au lieu de les régler.

Intervenants dans l’univers carcéral, nous voulons dire ici pourquoi et comment il est urgent de réformer le système pénal, en cohérence avec l’ensemble des politiques publiques, et pour le bien de la société.

La réalité des prisons françaises est profondément différente de l’image qu’elle renvoie. Sur 67.000 personnes détenues, 87 % le sont pour des délits qui encourent moins de dix ans de prison (vols, escroqueries, drogue, violences aux personnes, circulation routière…) et 13 % pour des crimes encourant plus de dix ans (meurtres, viols, violence avec arme…). 70 % le sont pour des peines inférieures à trois ans. La plupart des personnes détenues sont de jeunes hommes, sans emploi, sans formation, en mauvaise santé, souvent isolés et qui vivaient déjà dans l’exclusion et la précarité avant leur entrée en prison. En outre, la prison coûte cher : selon la Cour des comptes, le prix moyen d’une journée est de 71,10 euros en détention, 47,81 euros en semi-liberté et 5,40 euros avec un bracelet électronique. La construction d’une place de prison revient à environ 150.000 euros. Enfin, ils sont la moitié à récidiver quand ils sont incarcérés tout en bénéficiant d’un aménagement de peine, et les deux tiers quand ils ne bénéficient d’aucun aménagement de peine. Pour un coût particulièrement élevé, les murs de nos prisons concentrent, camouflent, étouffent et accentuent les problèmes affectifs, sociaux, professionnels. Malgré les efforts du personnel pénitentiaire et des intervenants, les personnes incarcérées sortent en plus mauvais état social, familial, financier, professionnel et psychologique qu’à leur entrée.

Pourtant, d’autres moyens adaptés existent pour punir : l’aménagement de peine et les peines alternatives. La plupart des études menées en France comme à l’étranger concluent que la prison est, sauf rare exception, facteur de récidive, alors que les aménagements de peine favorisent une réinsertion durable et efficace faisant baisser la récidive. Ainsi, les deux tiers des personnes condamnées, dont les peines sont aménagées et qui n’effectuent pas de détention, ne récidivent pas.

C’est pourquoi, ne serait-ce que pour les 47.000 personnes condamnées à des peines de moins de trois années de prison, il nous semble particulièrement urgent que la réforme pénale à venir poursuive les objectifs suivants :

Faire des peines alternatives (sursis avec mise à l’épreuve, travail d’intérêt général…), les peines de référence, en y consacrant de réels moyens.

Privilégier les aménagements de peine, et accroître les pouvoirs et les moyens des juges d’application des peines.

Assurer la mise en oeuvre effective pour chaque personne détenue de tous ses droits sanitaires et sociaux : soins adaptés, prise en charge sociale (ouverture des droits minimaux, RSA…), accès au logement et aux dispositifs de retour aidé à l’emploi et à la formation (Mission locale, Pôle emploi, secteur associatif…).

Développer le travail en détention avec une juste rémunération.

Assurer une juste réparation du préjudice subi par les victimes, point de départ d’une réinsertion réussie.

Pour tenir ces objectifs, il ne faudra pas seulement des moyens nouveaux et importants qui resteront plus rentables qu’une ruineuse augmentation du parc pénitentiaire, mais surtout un fort engagement citoyen dans des associations partenaires du ministère de la Justice, pour promouvoir l’éducation, la formation, la réinsertion professionnelle, accompagner individuellement, préparer et accueillir à la sortie, associer les familles…

Que le pape François, au lendemain de son élection, ait lavé les pieds de jeunes délinquants mineurs condamnés n’était pas seulement un geste de charité et d’humilité, mais un acte fort de responsabilité et de conscience face à la globalisation de l’indifférence. C’est pourquoi, notre engagement est aussi une pédagogie en direction de ceux qui continuent de croire que la prison assurera leur sécurité et des politiques qui instrumentalisent cette idée. En définitive, le vrai baromètre de la réussite de la politique pénale et, plus généralement, de l’état économique et social de la France sera la diminution du nombre de personnes détenues dans les prisons françaises.

Alexandre Duval-Stalla, Vincent Leclair, François Soulage

Alexandre Duval-Stalla est avocat au barreau de Paris. Vincent Leclair est aumônier général catholique des prisons. François Soulage est le président du Secours catholique.

 

source : Lesechos.fr/blogs - Point de vue
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