Gilles Fumey 19 janvier 2018 (mise à jour: 22 janvier 2018)
L’espace carcéral devient une denrée rare pour les détenus et coûteuse pour la collectivité. L’occasion de mobiliser l’opinion pour un débat sur l’utilité des prisons ?
La mobilisation des surveillants de prison pose de sérieuses questions de géographie. 123 détenus à Fleury-Mérogis (Essonne), le plus grand centre pénitentiaire d’Europe, ont refusé ce mercredi 18 janvier de regagner leur cellule durant quelques heures. Leur cellule ? 9m2 qui composent l’espace de vie quotidien d’une ou plusieurs personnes et qui ramènent toujours à cette question de géographie : pourquoi faut-il priver d’espace ceux à qui une société demande de payer des actes (ou des opinions) qu’elle juge comme des fautes ? Michel Foucault a exploré tout le maquis du système pénitentiaire (Surveiller et punir, 1975) et le géographe Olivier Milhaud toute la mécanique spatiale mise en œuvre dans l’espace carcéral (Séparer et punir, 2017).
La France compte 188 établissements pénitentiaires où travaillent un peu plus de 26 000 surveillants (de plus en plus jeunes), au contact des détenus dont le nombre ne cesse de croître et la durée moyenne de la détention s’allonge (plus de dix mois, six il y a trente ans). L’opinion veut toujours plus de prisons et, si possible, loin de chez soi. Contrairement à la police, les personnels se sentent peu soutenus par leur hiérarchie et le syndicalisme y est peu efficace pour porter leurs revendications. La promesse d’Emmanuel Macron pendant la campagne de construire 15 000 places supplémentaires… Une fuite en avant ?
Punir en prison au lieu d’aider à la réinsertion, couper les liens familiaux et sociaux, accroître la perte d’autonomie qui conduit aux suicides et à la récidive (60% en France contre 20% en Scandinavie), tout va à l’encontre de ce qu’on voit au nord de l’Europe. Dans les prisons ouvertes de Suède, les détenus ont accès à du travail qualifiant (en agriculture, par exemple), à des bibliothèques ouvertes sans limite d’accès, des visites familiales et amicales encouragées. Au bout du compte : les violences sont rares et les évasions n’existent pas. Personne ne sait que la France possède une prison en Corse, à Casabianda (Corse) où les détenus pratiquent le travail agricole. Les fermes de réinsertion de Moyembrie (Aisne) et Lespinassière (Aude) restent des cas isolés (1). Pourquoi ? Pour François Bès de l’Observatoire international des prisons (OIP), l’opinion pèse sur les choix politiques. Son attitude est foncièrement orientée par la vengeance. Les dénonciations contre le laxisme supposé de l’administration judiciaire et pénitentiaire sont récurrentes.
Depuis les années 1980, certaines entreprises signent des contrats de partenariat publics privés (PPP) : Sodexo, Bouygues, Engie et d’autres facturent des travaux et des services à l’Etat dont la dette dépasse les 6 milliards d’euros fin 2017. Une aubaine qui, pour Charline Becker, s’ajoute à la peur de l’opinion. Voilà pourquoi le débat ne bouge pas d’un iota. Punissons, payons. Punissons encore plus, payons encore plus…
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