Article paru sur Liberation.fr le 29 mars 2010.
La Cour européenne des droits de l’Homme a débouté lundi l’Etat français, jugeant par 10 voix contre 7 que le parquet français manquait d’indépendance, dans l’arrêt dit «Medvedyev», concernant un cargo arraisonné en mer avec un chargement de drogue.
L’affaire survient en pleine polémique sur la réforme judiciaire en France, qui prévoit de supprimer le juge d’instruction et de confier les enquêtes aux procureurs et magistrats du parquet, subordonnés au ministre de la Justice.
«La CEDH dans sa décision ne remet pas en cause le statut du parquet français. Cela met fin aux interprétations que certains ont voulu donner depuis le premier arrêt de la Cour, le 10 juillet 2008», conclut le communiqué.
La Cour, dit-elle, «rappelle uniquement les principes qui se dégagent de sa jurisprudence s’agissant des caractéristiques que doit avoir un juge ou un magistrat habilité pour remplir les conditions posées par la convention européenne des droits de l’Homme, en matière de détention».
Une affaire remontant à 2002
La Cour a condamné les conditions dans lesquelles l’équipage du cargo Winner, battant pavillon cambodgien, a été consigné, sur ordre du procureur de la République de Brest, pendant 13 jours à bord du bateau, après son arraisonnement par un navire militaire français près du Cap-Vert en juin 2002.
Des dizaines de kilos de cocaïne avaient été découverts à bord du cargo dont l’équipage avait été placé en garde à vue puis mis en examen pour trafic de stupéfiants à son arrivée à Brest.
Selon Me Patrice Spinosi, l’avocat des marins qui avaient porté plainte contre la France, «à l’occasion de cette affaire, la Grande chambre rappelle sa jurisprudence et pose en principe que le magistrat doit présenter les garanties requises d’indépendance à l’égard de l’exécutif et des parties, ce qui exclut notamment qu’il puisse agir par la suite contre le requérant dans la procédure pénale, à l’instar du ministère public».
«Donc la Cour européenne rappelle clairement que le ministère public, quand il agit comme partie poursuivante, n’est pas susceptible d’être une autorité judiciaire au sens de l’article 5 en général», a expliqué l’avocat parisien.
«La privation de liberté n’était pas régulière faute de base légale ayant les qualités requises pour satisfaire au principe général de sécurité juridique», a jugé la Cour européenne dans une décision en appel de sa Grande Chambre qui confirme point par point son premier arrêt de violation de l’article 5.1 de la convention européenne des droits de l’Homme.
La Cour a aussi débouté à une faible majorité de 9 voix contre 8 les marins qui estimaient trop long le délai avant leur présentation devant le juge d’instruction et qui avaient fait appel de la décision prise en première instance.
Les juges européens ont considéré que le délai n’avait pas dépassé neuf heures avant l’arrivée du cargo à Brest et la présentation des marins au juge d’instruction, un délai tout à fait acceptable «en présence de circonstances tout à fait exceptionnelles».