Esther Benbassa, sénatrice EELV du Val-de-Marne, spécialiste de la radicalisation
Vous êtes l’une des auteures d’un rapport sur la mission d’information sur le désendoctrinement et la réinsertion des jihadistes en France. Que vous inspirent ces derniers événements dans les prisons françaises ?
Nous sommes allés visiter le premier quartier d’évaluation de la radicalisation qui a été ouvert à Osny en région parisienne. C’était l’année dernière. On nous a présenté un centre «javellisé», mais nous n’avons pas vu un seul détenu. On nous a expliqué qu’on y pratiquait le yoga, l’exercice, les cours d’anglais, etc. Je dois dire que nous n’avons pas été convaincues par ces jeunes, ces très jeunes psychologues. Nous nous sommes même dit : ça ne marchera jamais ! Or, quelques semaines plus tard, un des individus qui était suivi dans ce centre a attaqué le personnel avec une arme blanche. On apprendra plus tard que cet homme après l’agression, avait lui même expliqué qu’il avait fait de la gym et du yoga, mais que cela n’avait guère modifié ses convictions ! Alors, maintenant, depuis quelques mois, on teste un nouveau programme de déradicalisation qui s’appelle RIVE (Recherche et intervention sur les violences extrémistes). C’est une technique basée sur un modèle danois. Il semble beaucoup plus efficace, car il traite individuellement chaque personne. Il était temps qu’on arrive à cela : en France, on a tendance à adopter des solutions à la va-vite !
Quelle analyse faites-vous de ce qui se passe aujourd’hui dans les prisons françaises ?
Il faut à tout prix éviter de rassembler les radicalisés entre eux, car cela crée en prison un véritable bouillon. La deuxième chose qui est liée à l’incarcération, c’est que la surpopulation endémique alimente ce retour à la religion. Les personnes qui se trouvent dans un inconfort matériel ont besoin d’un confort spirituel. Ce bouillon ajouté à ce conditionnement, voilà ce qui crée au sein des établissements pénitentiaires une «nouvelle famille» et forcément une famille radicalisée. On va dire que certains sont manipulés : c’est logique et de toute façon, lorsqu’il y a emprise de religion, il peut y avoir manipulation.. Voilà des choses auxquelles il faut faire attention. On va me dire que de séparer ces individus coûte cher ! Mais à terme, les dégâts de la radicalisation coûteront bien plus cher à la société ! Comme on ne sait pas mettre en place des politiques sur le long terme, on se retrouve automatiquement à son point de départ ! Je le répète, ce n’est pas avec du yoga et de l’anglais que l’on va extirper la violence qui est au fond de ces individus. Jusqu’à maintenant, on n’a employé que des mesures cosmétiques. Et quand le maquillage craque, on voit ce qui reste !
Pourquoi cette série d’événements ces derniers jours ?
C’est le mimétisme ! Quand les détenus radicalisés d’un endroit voient ce que font les détenus dans un autre endroit, alors, ils sont tentés de faire la même chose ! À chaque événement un peu spectaculaire, il va y avoir un phénomène de mimétisme. Essayons désormais de travailler avec un peu plus de rigueur, et d’inscrire les programmes dans le temps pour qu’ils soient enfin efficaces.