MERCI DE L’AVOIR POSÉE
Construire plus de cellules ne semble pas contribuer à désengorger les prisons. La solution se trouve peut-être dans des dispositifs d’aménagement de peine… Qui ont du mal à être mis en place.
Un prisonnier par cellule : cet objectif, inscrit dans la loi depuis 140 ans mais jamais appliqué, est au cœur d’un nouveau rapport présenté mardi par Jean Jacques Urvoas, le ministre de la Justice, alors que la surpopulation carcérale a atteint cet été un nouveau record. Le garde des sceaux annoncé, lors d’une conférence de presse à la maison d’arrêt de Fresnes (Val-de-Marne), vouloir construire entre 10 000 et 16 000 nouvelles cellules d’ici à 2025. L’objectif est d’atteindre 80 % d’encellulement individuel, pour respecter le principe de 1875. L’augmentation du nombre de places de prison est une vieille ficelle. Les gouvernements successifs l’utilisent depuis plusieurs décennies sans parvenir à mettre fin à la surpopulation carcérale.
La surpopulation en chiffres
Avec 69 375 personnes détenues pour 58 507 places, au premier juillet la France a atteint un taux de détention inégalé depuis le 19e siècle. Cette surpopulation contraint 3 à 4 personnes à partager des cellules de 9m² en maison d’arrêt. 1 500 personnes n’ont d’autre moyen que de dormir chaque nuit sur un matelas posé sur le sol. Une quarantaine de maisons d’arrêt a un taux d’occupation supérieur à 150%.
Plus de prisons, à quoi bon ?
La vision «immobilière» de la gestion de la surpopulation carcérale ne convainc pas. De nombreuses associations la jugent inefficace. «Les politiques s’intéressent peu à la détention, en dehors des aspects immobiliers et hôteliers», estime Paul Marconot, le président de l’Association nationale des visiteurs de prison. Depuis 25 ans, près de 30 000 places de prisons ont été construites. Cet effort a entraîné une hausse de 60% du parc pénitentiaire, sans pour autant réussir à éviter la surpopulation.
Un communiqué commun, signé par 18 structures dont Le Syndicat de la magistrature, le Génépi et la Ligue des droits de l’homme (LDH), dénonce une politique du tout-carcéral qui «mène droit dans le mur : en France comme ailleurs, la courbe du nombre de personnes détenues n’est pas tant liée à celle de la délinquance qu’aux choix de politiques pénales des gouvernants. Des politiques qui se sont concrétisées dans notre pays par l’allongement de la durée moyenne de détention et par une incarcération massive pour des petits délits, avec une augmentation de plus de 33% du nombre de détenus condamnés à des peines de moins d’un an de prison en cinq ans».
Chez ces mêmes détenus condamnés à de courtes peines (moins de 5 ans), 61% d’entre eux sont réincarcérés dans les 5 années qui suivent leur sortie, ce taux monte à 63% en cas de sortie sèche, c’est-à-dire sans passer par des rendez-vous avec le SPIP – Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation -, et sans élaborer de plan de réinsertion. «En prison, il y a plusieurs façons de sortir. Si tu as de la chance, ta sortie est planifiée. Moi je suis sorti en tant que libérable immédiat. Un gardien est venu dans ma cellule et m’a dit »prépare-toi tu sors ! ». Une fois dehors, j’étais livré à moi-même», révèle à Libération un ancien détenu de la maison d’arrêt de Fleury-Merogis, dans l’Essonne. «J’en ai vu des mecs qui ont fait des sorties sèches replonger», soupire-t-il.
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Pourquoi la politique d’aménagement des peines piétine ?
Pour l’Observatoire international des prisons, le meilleur moyen de résoudre quasi immédiatement la surpopulation carcérale en France est d’appliquer la loi. C’est-à-dire permettre à des détenus condamnés à de courtes peines, moins de deux ans, de bénéficier d’aménagements de peine. Ce qui réglerait immédiatement le problème de la surpopulation, en les plaçant en semi-liberté ou en prononçant des peines alternatives à l’incarcération. Le taux de récidive tombe, en effet, a 34 et 32% pour le travail d’intérêt général ou le sursis avec mise à l’épreuve.
En théorie, il suffirait de convaincre les magistrats d’utiliser les outils d’aménagement de peine mis à leur disposition. Le Syndicat national de la magistrature, lui, se dit confronté à une «injonction contradictoire». «Depuis des années, les gouvernements successifs ont durci les lois et favorisé le tout-répressif. Aujourd’hui des personnes sont en prison pour les transports sans billet à cinq reprises ou pour un défaut de permis» explique Clarisse Taron, présidente du Syndicat national de la magistrature à Libération. «Le problème, poursuit-elle,c’est que l’aménagement de peine n’est pas pensé. On ne se donne ni les moyens ni l’ambition d’organiser des peines alternatives. Les moyens manquent cruellement aux personnels et aux structures qui assurent l’accompagnement socio-éducatif et l’hébergement des sortants de prisons et personnes condamnées en milieu ouvert. Le gouvernement parle de 3 milliards d’euros dédiés à la création de place de prison supplémentaires, pourtant ça coûte moins cher de surveiller quelqu’un dehors que dedans. En France un conseiller d’insertion et de probation a 85 dossiers de détenus à gérer, quand son équivalent suédois en a 25».
Début 2016, La Cour des comptes a rendu un rapport très critique sur la collaboration entre les juges d’application des peines (JAP) et les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation. Le document pointe l’organisation des SPIP, dont la charge de travail serait «mal évaluée et mal répartie». De leur côté les JAP auraient du mal à exploiter pleinement tous les dispositifs d’aménagement à cause de leur complexité. La Cour des comptes considère que la coopération entre ces deux métiers, assez méconnus des Français, gagnerait à être «clarifiée et renforcée» pour mettre fin aux spirales récidivistes entraînant la surpopulation carcérale.
Eduardo Valenzuela, secrétaire général de l’association Dialogues Citoyens, qui intervient depuis 2006 dans des écoles, des prisons et des lieus publics d’Ile-de-France, estime que la prison est en train de se replier sur elle-même depuis les attentats. «On retourne vers une nouvelle forme d’archaïsme avec des hommes politiques populistes qui répondent à tous les délits et crimes par plus de répression. Vouloir alourdir les peines empêche de réfléchir». Selon lui, cette incapacité à penser autrement ne facilite pas une réforme constitutionnelle qui érigerait la réinsertion en priorité absolue. «Il faut évaluer les peines que l’on prononce. Evaluer les effets qu’ils produisent sur les personnes concernées. C’est le seul moyen de savoir si nos peines sont réellement dissuasives, si elles favorisent la réinsertion ou pas et de faire autre chose».
Pour le moment, aucune évaluation sur ce sujet n’a été rendue publique.