Prisons : « Les effets de la circulaire Taubira ont été extrêmement timides »

Pierre-Victor Tournier, directeur de recherche au CNRS, est l’un des meilleurs spécialistes de démographie pénale. Il est notamment l’auteur de La Prison, une nécessité pour la République (Buchet-Chastel, 264 p., 19 euros) et est à l’origine de l’Appel du 23 avril 2013 pour réformer la justice pénale.

 

Au 1er mai, 67 839 personnes étaient détenues en France pour 57 235 places. S’agit-il d’un record historique ?

 

Il s’agit même de plusieurs records absolus. Il faut distinguer la population détenue et la population sous écrou. L’écrou, c’est l’acte juridique par lequel une personne est placée sous la responsabilité de l’administration pénitentiaire. Depuis le développement du placement sous surveillance électronique – le bracelet électronique –, certains condamnés sont sous écrou sans être détenus, ils étaient ainsi 12 073 au 1er mai et c’est un record historique. Par ailleurs, 67 839 personnes sont détenues dans un établissement pénitentiaire, c’est aussi un record. Au total, 79 912 personnes sont aujourd’hui placées sous écrou. Il n’y en a jamais eu autant.

 

On pourrait objecter que la France compte chaque année 350 000 personnes de plus ; il faut en tenir compte. Le taux de placement sous écrou est ainsi de 122 pour 100 000 personnes – le taux de détention est de 103 –, et c’est à nouveau un record historique, si l’on excepte l’immédiat après-guerre, en raison de la collaboration.

 

J’ajoute deux points essentiels. Le nombre de détenus en surnombre, c’est-à-dire le nombre de détenus rapporté au nombre de places, établissement par établissement en écartant ceux qui ne sont pas surpeuplés, est aujourd’hui de 13 134. Il faut remonter à 2008 pour trouver un chiffre aussi élevé. Enfin, plus de 950 détenus dorment sur un matelas par terre, c’est un nouveau record, et un record inadmissible.

 

Comment s’expliquent ces chiffres, alors que la désinflation carcérale était une priorité de la chancellerie ?

 

D’une certaine façon, la situation s’améliore depuis 2012, la population carcérale continue à croître, mais nettement moins vite. Le taux de croissance annuel de la population sous écrou était de 10 % en janvier 2012, nous sommes à 3 %. Pour la population détenue, le taux était de 7 % début 2012, il est aujourd’hui de 1 %.

 

Pourquoi ces hausses ? Avec les peines planchers, instaurées en 2007, la durée moyenne du temps de placement sous écrou ne cesse d’augmenter. On est passé de 8,4 mois en 2007 à 10,2 mois en 2012, c’est énorme. En revanche, le rythme de croissance diminue en 2012. Les entrées en détention, ensuite. On passe en 2010 de 82 000 entrées à 88 000 en 2011. Il s’agit sans doute d’un « effet Pornic » : l’affaire Tony Meilhon remonte à février 2011 et il y a eu une volonté politique forte de mettre à exécution les petites condamnations qui n’avaient pas été exécutées.

 

Là encore, cette hausse s’atténue en 2012. Or c’est à ces deux niveaux – la libération conditionnelle et un moindre recours aux peines planchers – que la circulaire de politique pénale de Christiane Taubira entendait s’attaquer. Ses effets ont été extrêmement timides.

 

Comment y remédier ?

 

Il faut jouer sur tous les terrains, et non pas sur la seule « peine de probation », qui n’est pas une solution miracle. La priorité des priorités, c’est la libération conditionnelle. Il faut mettre en place un système de libération conditionnelle mixte, c’est-à-dire une libération conditionnelle d’office pour les courtes peines, à l’appréciation du juge pour les longues peines, comme le préconisait en janvier le rapport du député Dominique Raimbourg (PS).

 

Deuxième point, le développement croissant du placement sous surveillance électronique est intéressant, mais il n’a de sens que s’il s’accompagne d’un suivi socio-judiciaire, et ce n’est pas toujours le cas. Enfin, il faut s’attaquer aux entrées en détention, avec la peine de probation, que j’appelle plus clairement la contrainte pénale appliquée dans la communauté, c’est-à-dire dans la société.

 

Il faut faire de cette contrainte la peine de référence en matière correctionnelle, la prison devenant une peine alternative, et ainsi supprimer les sursis simples et les sursis mise à l’épreuve. Il faudra dix ans pour arriver à cette révolution culturelle. Et il faudra probablement auparavant l’expérimenter dans quelques territoires, afin d’inventer d’autres façons de sanctionner.

 

Propos recueillis par Franck Johannès

source : LeMonde.fr
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