Prison : à Fresnes, on isole déjà les détenus les plus radicaux

Depuis octobre dernier, une vingtaine de détenus considérés comme radicalisés sont regroupés dans une même partie du centre pénitentiaire. Un dispositif qui pourrait être étendu.

Leurs cellules se jouxtent et se trouvent sur la même coursive du premier étage, dans la division sud du centre pénitentiaire de Fresnes (Val-de-Marne). Sept sont en cellules individuelles, les autres en cellules doubles. Depuis mi-octobre, 23 détenus considérés comme radicalisés sont regroupés de façon expérimentale dans une même partie de l’établissement pénitentiaire qui compte, tous bâtiments confondus, 2.700 détenus.

Objectif : réduire au maximum leurs contacts avec les autres détenus, afin de les empêcher de « recruter » au sein de la population pénitentiaire, et de « toucher les personnes plus faibles, qui seraient susceptibles de se radicaliser », confiait à l’époque une source pénitentiaire.

« Généraliser l’isolement »

Alors qu’on soupçonne Chérif Kouachi et Amedy Coulibaly, deux des auteurs des récents attentats, de s’être radicalisés en prison, l’expérimentation menée à Fresnes se retrouve sous le feu des projecteurs. Ainsi que le problème de la radicalisation en détention. Le Premier ministre Manuel Valls a ainsi annoncé lundi vouloir non seulement « améliorer » le système d’écoutes administratives et judiciaires, mais aussi « généraliser l’isolement en prison » des détenus présentant ce profil :

Avant la fin de l’année (…), la surveillance des détenus considérés comme radicalisés sera organisée dans des quartiers spécifiques créés au sein d’établissements pénitentiaires. »

Le gouvernement souhaite-il étendre le dispositif en phase de test à Fresnes ? « L’expérimentation est en cours d’évaluation », a précisé dans la foulée la garde des Sceaux Christiane Taubira, qui s’est rendue sur place mardi après-midi. Elle doit décider dans les tout prochains jours d’une « inspection plus approfondie », pour tirer « tous les enseignements sur la façon de gérer le plus efficacement ce type de détenus ». Une inspection qui devrait bientôt débuter. La Contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL), Adeline Hazan, ne va non plus tarder à s’y rendre.

Comment ça se passe concrètement ? Deux tiers des 23 détenus sont en attente d’être jugés, une dizaine rentrent de Syrie, indique « France Info« . Un seul est à l’isolement. Les autres, bien que regroupés, ne sont toutefois pas totalement séparés des quelques 600 détenus incarcérés dans le même bâtiment. Mais les fenêtres de leurs cellules, côte-à-côte dans une partie du bâtiment, ne donnent pas sur les autres parties de la prison.

Les détenus considérés comme radicalisés restent entre eux lors des promenades, des douches ou à l’occasion de certaines activités sportives à l’extérieur. Mais ils peuvent néanmoins participer aux côtés d’autres détenus aux différentes activités (cours, culture, sport,…) proposées au sein de la prison. Par petits groupes de deux ou trois, et surveillés de très près, assure l’Administration pénitentiaire.

Il est encore trop tôt pour évaluer l’efficacité réelle du dispositif. Mais le directeur de la prison Stéphane Scotto, à l’initiative du projet, veut y croire : « Nous avons constaté une pacification ». Et de citer en exemple le cas de certains détenus qui « n’osaient plus prendre leur douche nus, écouter leur musique ou aborder certains sujets », et qui se disent depuis plus à l’aise.

Le directeur assure aussi n’avoir « constaté aucun incident » parmi les vingt-trois détenus. Si ce n’est un refus « sans gravité » de plusieurs d’entre eux de rejoindre la coursive après une promenade.

« On a créé un noyau dur »

Pourtant, cette initiative ne fait pas l’unanimité, notamment auprès des représentants du personnel pénitentiaire. Christopher Dorangeville, secrétaire régional CGT pénitentiaire, redoute notamment que d’autres détenus se fixent comme « objectif » d’intégrer le groupe.

Surtout, le secrétaire local FO pénitentiaire à Fresnes, Yohan Karar, déplore l’absence d’accompagnement :

On a juste changé les détenus de cellules, on les a rassemblés et on a créé un noyau dur. Rien de plus n’a été mis en place. Ni vrai plan de déradicalisation, ni réel travail de fond ».

Le syndicaliste espère ainsi que l’expérimentation, si elle est étendue, ne le sera « pas sur le modèle de Fresnes ». Lui-même, comme les autres syndicats et l’UFAP-UNSa Justice (majoritaire), déplore le manque de surveillants et leur carence en matière de formation pour « repérer ce type de profil ». « Les politiques sont clairement dans des effets d’annonce. Ce n’est accompagné d’aucun moyen », résume David Daems, secrétaire national du syndicat SNP-FO.

Une soixantaine de détenus « pose problème »

Les annonces du gouvernement mériteraient d’être précisées, réagit pour sa part Marie Crétenot, de l’OIP (Observatoire international des prisons). Pour elle, « tout cela est très flou ».

Les profils des personnes relèvent de réalités bien différentes. Si cela se généralise, sur quelle base va-t-on réaliser ces regroupements ? C’est une mesure temporaire permettant tout au plus d’éviter la propagation… Et on ne pense pas du tout à la sortie. »

Sur les 152 détenus pour des faits de terrorisme islamiste en France, une soixantaine, selon la Chancellerie, « pose problème ». Une étude a notamment été lancée au sein de l’administration pénitentiaire, avec l’aide de chercheurs et d’associations, en vue d’améliorer les critères de détection des personnes détenues radicalisées. Il pourrait en résulter des programmes de prise en charge adaptés. Cette recherche doit bientôt être mise en oeuvre dans deux établissements d’Ile-de-France.

Céline Rastello (avec AFP)

source : nouvelobs.com
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