« On se suit mutuellement. Ça fait bizarre de s’inquiéter pour quelqu’un »

Julie traverse la salle d’attente en coup de vent et repère un visage inconnu, tourné vers les livres de la bibliothèque. Un visage de fille. Peut-être qu’elle a rendez-vous ? Alain fait signe à l’assistante sociale de ne pas s’en occuper, c’est pour lui, il est venu accompagné d’une amie qui va patienter là.

Making of

Détenu en semi-liberté, Alain dort quatre nuits par semaine en prison et trois à l’hôtel. La journée, il étudie la psychologie et travaille dans un fast-food. Rue89 le retrouve chaque semaine lors de son entretien avec Julie, assistante sociale à l’Apcars.

Une fois dans le bureau, plus ébouriffé que d’habitude (ses cheveux ont poussé), il explique en deux mots qu’il a rencontré son amie « dans la rue », il y a « une ou deux semaines », sans s’étendre trop longtemps.

« Elle fait des trucs de fous, je me suis inquiété pour elle. Je l’appelle l’Insouciante, parce qu’elle fait vraiment des trucs insouciants. Elle avait rendez-vous pas loin, rue de Belleville.

– (Julie le taquine) Et donc vous lui avez proposé de venir avec vous ensuite, ou bien elle vous suit ? Il faut nous prévenir si on doit lui interdire l’accès ! (Ils sourient)

– Non, on se suit mutuellement. Ça fait bizarre de s’inquiéter pour quelqu’un.

– Pourtant vous avez déjà eu un réseau amical, vous avez déjà été en couple, vous savez ce que ça fait ?

– Oui mais avant, si j’étais avec une personne, je lui apprenais ce que je pouvais lui apprendre, j’essayais de la rendre plus forte et plus indépendante, et puis voilà.

– C’était unilatéral en quelque sorte ?

– Oui, si on veut. »

« Je n’ai aucune notion de l’argent »

Cette digression passée, ils en viennent aux choses sérieuses. Elles impliquent toujours de sortir des tas de papiers administratifs d’une grosse chemise cartonnée avant de faire des photocopies dans le couloir. Le certificat de présence à la prison, les fiches de paie de 2011 qui manquent (elles sont sans doute dans un carton à La Santé), le dossier « impôts » encore remis à plus tard.

Pendant que Julie fait des allers-retours à la photocopieuse – carte d’identité, RIB, contrat de travail –, Alain remplit sa demande de RSA. Avec son petit salaire (moins de 700 euros quand il travaillait 20 heures par semaine, un peu plus de 900 depuis qu’il est passé à 30 heures), il peut sans doute bénéficier d’un complément de salaire s’il en fait la demande.

Exceptionnellement en janvier, il a touché presque 2 000 euros grâce à un deuxième emploi temporaire. Ça risque de reporter le RSA à plus tard, mais c’est plutôt une bonne nouvelle dans l’ensemble. L’assistante sociale l’interroge :

« Ça fait une différence quand même, non ?
– Je sais pas, j’ai aucune notion de l’argent.
– Si vous êtes amené, plus tard, à payer un loyer, il faudrait que vous ayez un minimum de notion de l’argent. »

Dans un premier temps, l’hébergement en chambre d’hôtel va continuer, même après sa libération conditionnelle prévue le 17 avril. Outre les week-ends où il y est déjà, Alain passera tous les soirs de la semaine à l’hôtel, sans plus retourner à la prison. Le temps de trouver comment se retourner, grâce à un logement social ou privé.

 « La conditionnelle, j’y pense tous les soirs »

Il sait tout ça, mais persiste dans son inquiétude qui le tient depuis des mois : et s’il se retrouvait à la rue ? Tout ses efforts s’effondreraient. Il faut toute l’énergie de Julie pour lui rappeler chaque semaine que ce n’est pas possible. Qu’il sera accompagné de la même façon, sans barreaux ni gardiens.

« Mais à La Santé, le 17 avril, ils me mettent devant la porte ?
– Oui. Vous y pensez beaucoup ?
– Oui, j’y pense tous les soirs.
– Vous appréhendez ?
– Je vais changer de vie, on s’imagine toujours tout ce qui peut se passer. C’est pas que j’ai pas envie de retourner dehors, ce serait un mensonge, j’ai tout fait pour. »

Mais… Il y a les tentations, « les démons » d’Alain, les galères possibles, la crainte de se retrouver tout seul et de ne pas savoir faire face. Un pas à sauter vers l’inconnu. Julie lui transmet sa confiance :
« Forcément, la fin de la semi-liberté va être un bouleversement pour vous. C’est sûr que ça changera un peu la donne. Mais toute cette période servait aussi à vous y préparer.
L’hôtel va continuer. Vous n’aurez plus ces règles et ces horaires à respecter, ce sera déjà un soulagement. Vous n’allez pas être complètement lâché dans la nature, si c’est ce qui vous inquiète. Vous aurez encore des comptes à rendre à la justice. »

Elle lui conseille de réfléchir à ce qui pourrait le faire récidiver. « Ne pas avoir de toit sur la tête. » Cela ne devrait pas arriver :

« Tout ne va pas être simple. Il y aura des moments où vous aurez envie de tout lâcher et d’autres où vous vous accrocherez. Mais appuyez-vous sur les personnes autour de vous. »

Julie lui donne l’enveloppe à poster pour le RSA, colle un timbre.

« Je suis pas inscrit à la CAF, c’est pas grave ?
– Non, justement, le dossier sert à vous inscrire.
– Mais la Caisse d’allocations familiales, c’est pas pour les familles ?
– Si, et aussi les personnes isolées. »

A la sortie, son amie l’a attendu. Ils partent ensemble vers la première boîte aux lettres.

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