La probation sur les épaules des conseillers d’insertion

Les services pénitentiaires sur lesquels pèsera la contrainte pénale, examinée par les députés, pourraient manquer de temps et de moyens.

 

Après avoir supprimé les peines planchers, héritage du sarkozysme sécuritaire, les députés devaient aborder jeudi soir l’autre gros morceau du projet de réforme pénale, la création d’une nouvelle peine en milieu ouvert : la contrainte pénale. Une mesure censée favoriser un suivi «plus charpenté» des personnes condamnées, tout en leur évitant un emprisonnement jugé contre-productif.

A l’échelle de la France, c’est une timide mais réelle évolution. Car la contrainte pénale devrait s’accompagner de la mise en place de nouvelles méthodes de travail, déjà éprouvées à l’étranger. Au Canada (lire ci-dessous), il a fallu cinq années d’efforts intensifs pour que la peine de probation fonctionne à plein régime. «Chez nous, tout cela reste embryonnaire, relève Sylvain Roussilloux, secrétaire général du Snepap-FSU. Les méthodes d’évaluation initiale, d’entretiens motivationnels, etc. vont nécessiter de former les agents en conséquence.» Les services pénitentiaires d’insertion et de probation (Spip), chargés d’accompagner les personnes condamnées dans leurs démarches de réinsertion, auront-ils les moyens de cette ambition ? A en croire les syndicats, leur situation n’est guère reluisante. «Aujourd’hui, un conseiller suit en moyenne 130 personnes, affirme Delphine Colin, de la CGT pénitentiaire. C’est très difficile de reconnaître les gens dans les salles d’attente et de leur consacrer un temps suffisant.» Le Snepap-FSU milite pour un doublement du corps de conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (Cpip), de 3 000 à 6 000. «Si on pouvait ne pas aller au-delà de 50 dossiers par agent, ça serait bien», explique Sylvain Roussilloux.

 

«Qualité». A l’automne dernier, le Premier ministre Jean-Marc Ayrault annonçait un plan de recrutement de 1 000 personnes dans les Spip (dont une majorité de Cpip) entre 2014 et 2016. «Une augmentation de 25% en trois ans d’un corps professionnel, c’est assez exceptionnel, surtout dans le contexte budgétaire actuel», se félicite-t-on au ministère de la Justice. «Ce n’est pas rien», reconnaît Delphine Colin. Mais la création de la contrainte pénale ne risque-t-elle pas d’engendrer un surcroît de travail ? L’étude d’impact de la réforme évalue qu’entre 16 000 et 60 000 personnes pourraient à terme être soumises à ce régime.

 

«Il y aura un transfert vers la contrainte pénale de personnes qui bénéficiaient auparavant d’un sursis avec mise à l’épreuve ou étaient emprisonnées pour de courtes peines, argumente le ministère. Plus qu’en volume, c’est en qualité et en intensité du suivi que les choses vont changer.» Un constat partagé par les professionnels du secteur. «Avec la contrainte pénale, on va se fixer des priorités et travailler au maximum avec les personnes pour lesquelles on pense qu’un suivi sera efficace, illustre Sylvain Roussilloux. Mais pour diminuer les risques de récidive, il faut que le tri soit pertinent. Sinon, on n’apporte pas de réelle plus-value.»

 

Fragilité. Tout cela réclame des moyens. «Un agent ne se contente pas de suivre des dossiers, précise Delphine Colin. Il a besoin de temps annexe pour faire des analyses de situation, travailler en équipe, se former, se documenter…» Les crédits alloués aux dispositifs d’insertion ont aussi leur importance. Selon la CGT pénitentiaire, les fonds destinés aux placements extérieurs (dans une association, par exemple) en région Picardie sont épuisés depuis le mois d’avril. Une illustration de la fragilité de ce travail de l’ombre. «Mais si on met bout à bout des dispositifs cohérents, on arrive à des baisses des taux de récidive tout à fait significatifs, de 20% à 30% par rapport à quelqu’un qui n’est pas accompagné après sa condamnation», relève Sylvain Roussilloux. Précisément l’objectif de la réforme portée par Christiane Taubira.

 

SYLVAIN MOUILLARD

 

source : Liberation.fr
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