Au centre pénitentiaire Pémégnan, les détenus ont la clé de leur cellule

Par Vincent Dewitte (Mont-de-Marsan, correspondant)

Elle se porte au bout d’un lacet noué autour du cou, se garde au creux de la main ou vient se loger au fond d’une poche de pantalon. « Cette clé, ça change tout, témoigne Félix dans un couloir, toutes portes ouvertes, du centre pénitentiaire Pémégnan, à Mont-de-Marsan. Avec cette clé, j’ouvre et je ferme la porte de ma cellule moi-même, je peux me déplacer librement. En fait, c’est une sorte de semi-liberté en milieu fermé… »

Incarcéré depuis plus de cinq ans, cet ancien de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis (Essonne) arbore, ce vendredi 22 janvier, sourire et jolie paire de baskets bleues. « C’est un cadeau du centre pénitentiaire Pémégnan », explique-t-il fièrement. Un cadeau pour bonne conduite prévu dans le cadre des « modules de respect », une nouvelle forme de détention inspirée du modèle espagnol « Respecto », testée depuis un an dans l’un des deux centres de détention de cette prison des Landes, et vouée à se développer dans toute la France.

Derrière l’enthousiasme de Félix, il y a un pari réussi. Après un an de fonctionnement, cette réponse unique en France à un plan de lutte national contre les violences en prison offre « des résultats qui dépassent les espérances ». « C’est simple, en douze mois, il n’y a pas eu une seule violence physique sur les surveillants », se félicite Sophie Bleuet, directrice de l’interrégion pénitentiaire Aquitaine, Limousin et Poitou-Charentes.

Si 96 exclusions ont tout de même été prononcées pour insultes, menaces entre détenus, possession de stupéfiants ou de téléphones portables, etc., l’expérimentation menée avec 30 surveillants volontaires et 367 détenus montois au total sur l’année – ils sont actuellement 256 – a séduit la directrice de l’administration pénitentiaire, Isabelle Gorce. Venue à deux reprises dans les Landes en 2015, elle « a même demandé d’envisager de développer au moins une expérimentation dans chacune des neuf interrégions. Et Lille s’apprête déjà à lancer la sienne », se réjouit Sophie Bleuet.

La possibilité offerte aux détenus de circuler librement dans la prison de 7 heures à 19 heures s’appuie sur un engagement écrit à respecter des règles de vie en communauté et à effectuer un minimum de 25 heures d’activités par semaine. Ce cahier des charges, qui s’inscrit dans le plan de lutte contre l’oisiveté prévu par la loi pénitentiaire de 2009, comporte aussi une évaluation quotidienne puis hebdomadaire, avec, à la clé, félicitations et récompenses, ou au contraire avertissements et recadrages. « On reçoit la personne et c’est un moment fort. On n’est plus dans la banalité de la détention. Ça fait quelque chose. On a même des détenus qui pleurent lorsqu’on les félicite », relève la directrice du service d’insertion et de probation, Valérie Rosmade.

Les prisonniers et surveillants rencontrés ce vendredi à Mont-de-Marsan s’entendent sur une « cohabitation plus apaisée », avec « moins d’embrouilles », assure Félix. « Avant, notre seul moyen d’action, c’était le contrôle des incidents. Grâce à ce contrat, on a gagné en autorité. Mais c’est de l’autorité autrement, par le dialogue », louent également Fabrice et Philippe, surveillant et adjoint au chef de bâtiment. « On a connu l’ancien régime, et on voit le changement, prolonge Abdel. De notre côté, on a tout à y gagner. On a moins de frustrations, si on a un problème, on peut s’adresser à quelqu’un 24 heures sur 24, et on sait très bien ce qu’il faut faire ou ne pas faire si on ne veut pas retourner au strict », témoigne le détenu, libérable en février.

L’entrée dans un module de respect comporte aussi des évolutions obligatoires dans la manière de vivre sa détention. « Se lever à 8 heures et avoir la chambre prête, nickel, à 9 heures ; sortir les poubelles, nettoyer les couloirs, on ne l’avait jamais fait de notre vie ! », s’en amuse Félix. « Ce qui change, c’est aussi que les surveillants sont beaucoup plus à l’écoute, ils prennent le temps, et ça, c’est super important », juge à son tour Henri, « à l’ombre » depuis quatorze ans.

« Cela ne fait pas partie de notre culture pénitentiaire d’origine, mais nous avons bâti ça sur le volontariat et laissé faire l’humain, et avec le recul vraiment je le recommande », ajoute le directeur de la prison, André Varignon. Ancien numéro un de l’interrégion, il est attendu dès juin à la tête de la prison de Bordeaux-Gradignan, un centre pénitentiaire où l’idée des modules de respect n’a pas emporté l’adhésion des organisations syndicales, et a donc été abandonnée – il en a été de même à Bayonne. Et au final « ces modules n’ont pas pu être testés dans des établissements en situation de surpopulation », regrette Sophie Bleuet.

Neuvic, en Dordogne, a inauguré le sien le 14 septembre 2015, avec 90 détenus (centre de détention uniquement). Sophie Bleuet annonce une prochaine étape dès avril à Eysses, en Lot-et-Garonne. Une quatrième ouverture est espérée au deuxième semestre 2016 à la maison centrale de Saint-Martin-de-Ré (Charente-Maritime), qui héberge des profils pénaux parmi les plus lourds de France. En attendant les établissements des huit autres interrégions.
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